C’était ainsi que le rendez-vous avait été organisé. En fait, le détective se trouvait déjà au pied du bâtiment, cinq minutes à peine après la venue de Vinsetti : il avait rompu la monotonie de l’attente en regardant charger sur un camion un certain nombre d’objets de mobilier : deux grandes chaises, un « davenport », un portemanteau et une grande table ; il entra ensuite et prit l’ascenseur. Angelo lui ouvrit la porte.
« Vittorio est parti, chef, dit-il. Il est resté cinq minutes seulement ; il était venu voir Minn Lu, mais elle a la migraine.
– Où est Perelli ? »
Il était sur la terrasse ; on alla le quérir.
« Vinsetti est venu ici il y a un quart d’heure, dit Kelly d’un ton insistant ; il n’a pas pu partir.
– S’il n’y est pas, c’est qu’il a dû tout de même s’en aller, fit Tony. Il y a deux entrées : l’une derrière la maison ; c’est celle qu’il prend d’habitude.
– Je voudrais bien chercher dans l’appartement même… » Kelly était sceptique et l’exprimait brutalement.
« Oh ! mais, bien sûr… » Tony se confondait en sourires.
En tout cas, Vinsetti avait bel et bien disparu. Comment ? Où ? Mystère.
Kelly connaissait la sortie de derrière et y avait déjà posté un de ses hommes en pure perte. Vittorio n’était pas sorti.
Deux jours plus tard, on retrouva son cadavre dans le lac.
Il avait été fusillé à bout portant. Dans ses poches, on trouva quatre-vingts billets de mille dollars chacun.
On traîna Perelli au quartier général de la police, où il fut sévèrement interrogé.
« J’espère, dit-il, que vous attraperez celui qui a descendu le pauvre Vittorio. Il y a vraiment trop de ces assassinats ! »
Il assista aux funérailles, suivant immédiatement le convoi, dans une automobile blindée.
CHAPITRE V
Vinsetti était doué d’une certaine culture littéraire. Il avait laissé des mémoires abondants, dans lesquels, au grand désappointement de Kelly et au grand soulagement de plus d’une personne, il n’avait confié aucun renseignement, aucune information d’intérêt vital.
Il avait ainsi commenté une visite à Hollywood :
« La vie du « gangster » n’a pas de solution de continuité. Elle se compose d’une série d’histoires brèves, écrites dans la même salle funéraire… De nouveaux types, de nouveaux caractères font leur apparition sur la scène, et s’en vont brusquement, avant d’avoir établi leur identité. L’histoire entière du pays des « gangsters » est ponctuée de coups de mitrailleuses portatives, et la plupart des accents sont des points finaux… »
Les mémoires étaient rédigés en italien et leur traduction permit à Kelly d’étendre ses connaissances linguistiques ; elle ne lui fut d’aucune utilité en manière d’information.
Minn Lu voyait le pays des « gangsters » sous un angle très personnel. Elle apercevait nombre d’hommes et de femmes ; ces dernières jolies, bruyantes, luxueusement habillées, couvertes de bijoux, semblant parfaitement heureuses et satisfaites de leur condition ; Tony savait d’ailleurs admirablement les remettre à leur place, lorsqu’elles venaient se mêler de ce qui ne les regardait pas.
« J’ai horreur des gens qui m’ennuient, petite Minn Lu, » dit-il un jour.
Elle sourit tranquillement.
« Je me demande si cela m’arrivera, » fit-elle.
Il lui baisa la main.
« Peut-être, dit-il ; quand je serai très vieux ; quand je n’aimerai plus les jolies choses, les jolies voix, ni ce qui est agréable à regarder… »
Et lui prenant la tête entre ses deux mains :
« Es-tu heureuse ? »
Sur un signe affirmatif, il la souleva, la mit sur ses genoux, la berça comme un enfant. Ce contact apaisait son esprit inquiet et lui permettait de concentrer sans trop de nervosité son attention sur le problème de Shaun O’Donnell et de la bande Funey.
Mike Funey était un grand diable d’une taille exceptionnelle, qui avait commencé par être terrassier et qui avait réussi à former une bande de l’espèce la plus redoutable qui soit. Il était un des initiateurs de la méthode dite « à l’ananas », méthode de persuasion s’il en fut. L’« ananas » était une bombe que l’on plaçait sous le porche ou dans le couloir de la maison d’un employé rebelle aux ordres de Mike, et qui modifiait sa manière de voir en très peu de temps. Si la première ne réussissait pas, on en plaçait une autre d’effet plus destructif. Peu d’employés attendaient ce second « ananas » ; il n’y avait pas d’exemple que l’un d’eux eût jamais reçu le troisième.
Ce métier offrant des occasions uniques, des mines d’or, Mike possédait tout ce qu’il fallait pour terroriser. Il fournissait d’alcool ses étranges petits gars. Sa section de « Tireurs » augmenta. Il ouvrit des maisons de jeu, renforça le tout par des combinaisons avec les « bookmakers ». Sa sœur l’aidait considérablement. Elle était bâtie comme lui-même. S’étant disputée avec un homme, elle l’avait rossé, et Mike s’en vantait parfois.
Avec tout l’argent possible, elle était la femme la moins bien habillée de Chicago ; elle exhibait des violets agressifs, des ronges flamboyants ; promenait des diamants gros comme des noisettes, sertis dans des broches ou pendentifs vastes comme des soucoupes.
Elle avait une voix rauque, qui donnait la chair de poule aux membres de « l’association Funey ».
Naturellement elle détestait Perelli, pour ses seules qualités masculines en particulier. Elle lui donnait toutes sortes de noms, n’approuvant pas, bien entendu, ses maisons de « Cicéro », mais poussant son mari à en ouvrir du même ordre. Elle s’imposait davantage à son mari qu’à son frère, ce qui pouvait surprendre, car Shaun avait du tempérament et trois cerveaux comme celui de Mike Funey. Au reste, elle ignorait le remords, envoyant des hommes se faire tuer et ne s’en souvenant même pas. Elle avait été l’instigatrice de l’attentat contre Perelli.
Cette fois encore, elle insistait pour que Shaun allât voir Tony, afin de lui demander des comptes au sujet d’une autre femme ; mais Shaun protesta : « Vous êtes rudement pressée de vous débarrasser de moi, grogna-t-il ; ne vous mêlez pas de ça, Bella… » Un parent sans imagination l’avait appelée : Flori Bella.
On lui avait parlé de la jolie Chinoise qui habitait l’appartement de Perelli ; la curiosité prit le dessus et elle tourbillonna autour de Minn Lu comme un martinet autour d’un lis de Pâques. Pour une fois dans sa vie elle se montra sociable, et Perelli fut très étonné d’apprendre qu’elle avait laissé une bonne impression à la petite.
« Ce bébé est trop bien pour vivre avec Tony, disait-elle. Ce sale Sicilien devient gras.
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