Un des bons clients de Perelli eut son établissement complètement démoli et, lui-même, fut molesté. Il s’en plaignit à Angelo.

« Envoyons Vittorio, dit Perelli. Qui a fait le coup ? »

C’était, paraît-il, un nommé Death House Henessey, homme de paille des autres, personnage brutal, qui avait été chef de bande.

Shaun O’Donnel l’utilisait souvent, lorsqu’il ne se souciait pas d’être lui-même reconnu, pour un « coup de force » et jugeait inutile d’y employer des hommes de sa propre garde du corps.

« Faites son affaire à Henessey, dit Perelli, mais envoyez Vittorio voir Funey ou O’Donnel. »

Vittorio rencontra donc Shaun O’Donnel dans un certain hôtel près de North State ; mais il fut fort mal accueilli par l’irritable petit Irlandais. Il lui proposa un modus vivendi ; l’autre ne comprit même pas le sens du terme. Il y eut d’autres négociations ; à la fin, Shaun dit :

« Je ne comprends pas comment vous pouvez rester dans la bande de Perelli. Mike et moi aimerions vous offrir un poste chez nous. Oh ! je sais, vous mourez de peur devant Perelli. Mais supposons que nous puissions le démolir quelque part où nous serions sûrs de le trouver… Ce gars-là traite les gens comme des chiens. »

La proposition était nette, claire. Vittorio en considéra les avantages. Pendant ce temps on avait fait son affaire à Death House Henessey. Une voiture s’était amenée devant la porte de sa petite maison. Quelqu’un sonna ; Henessey ouvrit, regarda dans la nuit…

Un agent cycliste entendit le crépitement d’une mitrailleuse et se dirigea vers le bruit… Death House Henessey était replié contre la balustrade de son porche avec vingt balles dans le corps.

Shaun O’Donnel prit la chose avec philosophie. Qu’un sous-ordre fût tué, cela lui était égal ; il en avait d’autres, et à meilleur marché.

Mais l’occasion était belle de monter une attaque contre Perelli. Il paya les funérailles de Henessey de ses propres deniers et attendit.

Perelli envoya une couronne. Personne n’osa y toucher… telle était son emprise sur des hommes qui le détestaient et qui savaient qu’il était le promoteur de l’assassinat.

Tony parlait librement à Minn Lu, lui ouvrait son cœur et ses pensées plus qu’il ne l’avait fait avec aucune des femmes qui avaient passé dans sa vie et s’étaient évanouies.

« Dans cette affaire, chérie, il y a quatre points cardinaux et celui qui louvoie entre Nord et Ouest est sûr de ne pas s’y retrouver. Vittorio n’a pas entrepris O’Donnel, et un autre de mes bars a été démoli la nuit dernière. Pourtant Vittorio ne me dit pas : « Allez-y » mais au contraire : « Attendez, attendez » ; et voilà que j’attends pendant que mes affaires vont au diable !… »

Vittorio avait de bonnes raisons pour dire : « Attendez. » Il vit Tony, lui rendit compte de ses négociations ; l’autre écouta patiemment.

« Tout ça c’est très joli, dit-il enfin, mais attendre quoi ? Que Mike devienne vieux et s’assagisse ? Ce serait une affaire de dix ans, alors. Il faut que Mike arrange les choses ou qu’il y passe… c’est mon dernier mot, Vittorio. On parle trop, qu’on laisse agir Ricardo… »

Ricardo était son mitrailleur préféré ; un homme qui avait fait la Grande Guerre, récolté trois décorations et qui possédait vingt morts à son tableau…

« J’attendrai un tout petit peu… et puis ensuite !… »

L’après-midi il alla au « Cicéro ». Il buvait son café dans son propre restaurant, lorsque trois voitures passèrent lentement et balayèrent l’établissement de rafales de mitrailleuses.

Perelli s’aplatit sur le sol, au milieu du fracas du verre brisé et des plâtras qui tombaient de tous côtés. Il décida alors qu’il lui était impossible d’attendre davantage ; il fallait agir et vite…

Cette attaque n’avait pas été improvisée ; elle avait été soigneusement concertée. Vinsetti était un des seuls hommes sachant qu’il irait au « Cicéro » cet après-midi-là, et c’était Vittorio lui-même qui avait organisé la sortie ayant pour but de le mettre, lui, Tony, en relation avec un armateur canadien.

Il fit une enquête. Mike Funey et Shaun étaient partis juste la nuit précédente pour New-York : l’alibi était trop clairement établi d’avance.

Il rencontra Vittorio au retour, et parla beaucoup, en insistant sur le fait qu’il l’avait échappé belle. Il ne commit pas l’erreur de trop approfondir l’affaire. Vinsetti eût été effrayé et sait-on jamais ce qu’un rat qui a peur est capable de faire ?…

Néanmoins Vittorio en conçut de l’alarme. Il avisa Kelly, lui procurant quelques renseignements et en promettant davantage. Puis il fit une chose étrange, bien dans la manière de cet homme, étrange lui-même. Il appela son notaire et écrivit le testament suivant :

« Au cas où je mourrais de mort violente, et sur l’affirmation du juge que cette mort est un assassinat, je demande qu’une somme de cent mille dollars soit prise dans mes biens et qu’elle soit la récompense de la personne qui prouvera l’identité de mon assassin et assurera son exécution. »

Dans l’après-midi il fit une visite à Minn Lu. Elle lui avait téléphoné, à l’instigation de Tony, le priant de venir prendre le thé.

« Vous pourrez rester dans vos appartements, petite chérie, lui avait-il dit, car j’ai beaucoup de questions à régler avec Vittorio. »

Vinsetti vint à quatre heures trente. Un quart d’heure plus tard Kelly se présenta.