Tenez, Shaun, à moins d’être saoûl, vous ne pourriez pas le rater… » Shaun ne répondait rien. Il avait son plan et ne se souciait pas d’être bousculé.

Sa femme arriva un jour avec un nouveau renseignement :

« Perelli a un nouveau type de New-York, Conn O’Hara ; le connaissez-vous ? » Shaun le connaissait ; Mike Funey encore mieux, et avec des raisons personnelles de ne pas l’aimer.

« C’est un pistolet et un malin ; mais il n’arrête pas de parler, et j’ai idée qu’avant de disparaître, il aura tout juste le temps de visiter la ville. »

Dans le courant de la semaine suivante, Perelli reçut encore une nouvelle recrue, qu’un fournisseur d’alcool lui avait recommandée : un garçon de bonne famille, connaissant plusieurs langues, et qui avait été chassé de son collège pour un vol stupide et lâche. Il ne parvenait pas lui-même à se rendre compte comment il l’avait commis. Grand, nerveux, un beau port de tête, mais, bien qu’ayant les qualités voulues pour faire plus tard un « Grand Tireur », Perelli ne savait trop qu’en faire. Il n’avait jamais répandu de sang, condition indispensable pour être admis aux mystères intimes du « gang »… Il faut avoir sur soi un crime suffisant pour se sentir coupable, si on vient à prendre une direction quelconque dans la bande, afin de ne pas pouvoir en sortir. Dedans ou dehors !…

Il y avait à la disposition des membres du « gang » une petite ferme, où parfois ils allaient villégiaturer ; leur stand de tir se trouvait là. Perelli y envoya le nouveau venu avec Ricardo, le champion des tireurs à la mitrailleuse.

« Laissez-le tout à fait libre, » avait-il recommandé.

Mais au bout de quelques jours, Ricardo rendit compte du peu de progrès accusé par son élève.

« Il n’a pas le nerf voulu, dit-il, vous devriez lui confier quelque chose de moins difficile. »

Aussi, de retour à Chicago, Jimmie Mac Grath fut-il investi des fonctions que remplissait le défunt Vinsetti.

Il rencontra toutes sortes de « gangsters » des deux camps, et d’autres qui n’étaient d’aucun et couraient de ce fait de sérieux dangers. Il entra dans les bonnes grâces de Mike, et, ce qui est plus surprenant, dans celles de O’Donnell à qui il plut beaucoup.

« Vous appartenez aussi à la bande de Perelli ? lui demanda-t-il ; pourquoi vous collez-vous avec ce Sicilien-là ?

– Laissez l’enfant tranquille, dit Shaun, c’est bien sa déveine. Alors, vous allez être le démarcheur de Tony ?

– Je serai ce qu’il voudra faire de moi, » répondit Jimmie.

Pensivement, Shaun le regarda :

« Il aura besoin d’un démarcheur, maintenant qu’il a démoli Vinsetti.

– Son meilleur ami !…, Voilà le genre de chien jaune que c’est… » interrompit Mrs. O’Donnell.

Shaun expliqua :

« Vinsetti courait à droite et à gauche, arrangeait tout ; il a sorti bien souvent Perelli de vilaines affaires. »

Il aurait pu ajouter que lui-même était sorti de bien périlleuses impasses par l’intervention du démarcheur.

À ce déjeuner, il y avait un quatrième personnage, lugubre Italien, que l’on présentait sous le nom de Mr. Camona. Jimmie ignorait son rôle exact ; il n’ouvrait la bouche que pour manger, boire et émettre des monosyllabes. Plus tard, on sut par Perelli qu’il avait été importé de Sicile comme passager clandestin, muni d’un faux passeport. Mike Funey avait le contrôle d’un certain nombre de bouilleurs de cru des deux sexes, qui distillaient des alcools dénaturés à l’usage des gens trop peu fortunés pour s’offrir du « meilleur » et qui, en fait, recevaient « le pire ».

Camona, qui avait un passé, avait certainement fait de la prison en Italie. Il avait incidemment servi comme mitrailleur dans l’armée italienne, et, aujourd’hui, il s’occupait de distillation pour Mike, constituant une précieuse recrue dans le corps de ses spadassins. Ce soir-là Camona tua ; à moins que ce ne fût le chauffeur.

Quoi qu’il en soit, Tony conduisait sa voiture, revenant de l’Opéra avec deux individus « de confiance ». Il venait de prendre un tournant près de Michigan Avenue, lorsqu’une autre voiture vint se placer à sa hauteur. Tony s’aplatit dans le fond, tandis qu’une grêle de balles s’abattait sur l’auto. Un de ses camarades, moins heureux, s’écroula, une petite blessure au cou. Tout fut terminé en quelques minutes.

Mais des yeux vigilants avaient eu le temps de reconnaître derrière une des mitrailleuses… certaine paire de moustaches que l’on connaissait bien. Tony rentra chez lui, très calme et sans émotion apparente. Minn Lu, qui l’attendait, ne se rendit compte de rien, mais à sa façon péremptoire de l’envoyer se coucher, elle se douta bien qu’il y avait quelque chose de sérieux.

Camona habitait un petit appartement dans le quartier sud. Il arriva chez lui à deux heures du matin. Tandis qu’il introduisait la clef dans la serrure, un homme s’arrêta derrière lui, posa le canon d’un pistolet sur sa nuque, tira, et revint tranquillement vers la voiture qui l’attendait. Lorsque survint la patrouille de police, il avait disparu depuis longtemps.

« Bon travail, Conn !… »

Perelli, au petit déjeuner, le lendemain, félicitait O’Hara et celui-ci, important, massif, habillé à la mode et interminablement communicatif, souriait en grimaçant. C’était son premier travail « seul ».

« Oui, patron, c’est du travail propre…, ma spécialité ! Je ne tire jamais qu’une fois sur un type, et à partir de ce moment-là son nom est : « je fus ». J’aurais pu l’avoir dans la rue, mais il y avait une femme faisant ses adieux à son mari… ensuite, je le vois grimpant l’escalier…

– Bon, ça va, c’est bien, » fit Tony. Il montrait peu de patience envers les gens qui dramatisaient leurs actions.

Jimmie apprit la chose par les journaux et en fut choqué.

« Avez-vous une idée de celui qui a fait le coup ? demanda-t-il à Tony.

– C’est moi, Jimmie. Et ses yeux ne quittèrent pas ceux du garçon. Bien entendu, le gaillard avait essayé de me supprimer hier soir.