Il m’a visé avec une mitrailleuse…
– Vous étiez donc dans la voiture sur laquelle on a tiré ? » demanda Jimmie d’un ton incrédule. Il avait entendu parler de la fusillade de la « Michigan Avenue », mais aucun nom n’avait été prononcé.
« Bien sûr.
– Êtes-vous certain que c’était Camona ? »
Perelli eut un rire silencieux.
« Voilà comment cela se passe, Jimmie, dit-il : on tue…, et nous tuons. Je n’ai envie de supprimer personne, mais que faire quand un gaillard vous « cherche » ? Il n’y a pas de loi pour nous protéger ; nous sommes nos propres juges et exécuteurs. Quand un homme vous descend, il convient de lui rendre la pareille, et si vous y restez, c’est aux autres gars à vous venger. C’est ainsi que cela marche. Si j’allais me plaindre à la Police, on me demanderait des preuves. Or, la seule que j’aie, je l’ai, dans les yeux… et là, fit-il en se frappant la poitrine.
– Mais, tuer un homme de sang-froid me semble une chose affreuse !
– Tuer quelqu’un sous l’empire de la passion, oui ; c’est cela qui est affreux, car on risque neuf fois sur dix de tuer celui qu’il ne faut pas. Voyez la guerre. C’est idiot de démolir des gens qu’on ne connaît pas et dont un certain nombre sont de braves types, à coup sûr. On s’attaque : on le tue, il nous tuera !… Ça ne rime à rien.
« Tandis que nous, quand nous descendons quelqu’un, c’est avec raison, et cela vaut le coup. Ce que l’on fait, avec la tête échauffée, est généralement stupide et déraisonnable ; seul, ce que l’on fait de sang-froid peut être sage. »
Telle fut la première leçon d’éthique « gangster » que reçut Jimmie. Comme il était jeune, cela l’impressionna.
« Restez près de Shaun O’Donnell, lui enjoignit Perelli ; un de ces jours vous pourrez être notre démarcheur. »
Jimmie raconta sa conversation avec Shaun.
« Très bien, dit Perelli ; lui et moi avons la même idée. Peut-être aurez-vous à prendre la place de Vittorio et cela représentera beaucoup d’argent pour vous… » Mais, en son for intérieur, il savait bien que Vinsetti, avec tout son savoir et son savoir-faire, était irremplaçable.
Peu à peu Jimmie fit la connaissance du « comité » entier « comité exécutif », naturellement. Il fit aussi celle de Minn Lu. Sa joliesse, sa grâce le ravirent complètement. Tony avait transformé l’appartement pour elle, afin que les tons missent mieux en valeur son charme, la teinte délicate de sa carnation. Il avait fait venir des étoffes de soie, dont chacune valait son poids d’or pur.
Jimmie sortit de sa première entrevue, convaincu, et conscient qu’un grand espace vide avait été comblé dans son âme. Il était éperdument amoureux de Minn Lu. Celle-ci suivait gravement le développement de cette passion. Un homme était entré dans sa vie, un seul au monde, Perelli, et il ne pouvait y en avoir d’autre.
Elle envisageait sans crainte le lendemain, sachant bien quelle terrible chose cela pouvait être… De son seul parent européen elle avait hérité une philosophie qui s’accordait bien avec sa nature orientale. Un jour, Perelli lui demanda :
« M’aimes-tu ? »
La réponse fut si longue à venir que l’attente mit son cœur à vif :
« Je suppose que oui ; je crois que oui, dit-elle enfin. Peut-être que je ne sais pas ce que c’est. Toutes les femmes qui viennent ici en parlent comme d’une nouvelle crème de beauté, comme d’un nouveau film. Moi, je ne peux pas en parler. Vous m’effrayez, c’est tout ce que je sais. »
Il la regarda, la scruta ; une question lui échappa :
« Voyons, petite fille, je suppose qu’un type soit dans l’antichambre, m’attendant, et que je te dise : « Minn, sors ; il est là avec ses exécuteurs, et la première personne qui sortira sera tuée ; est-ce que… ? »
Elle se mit à rire ; elle riait rarement, et jamais avec cette voix perçante qu’ont les Chinoises, mais d’un rire lent, européen.
« Bien sûr que j’irais. »
Il reprit haleine.
« Mais tu serais tuée, Minn Lu…
– Ce n’est rien, fit-elle.
– Le ferais-tu pour quelqu’un d’autre ? »
Elle réfléchit une seconde, fronçant les sourcils.
« Non, dit-elle ensuite ; non, pour personne d’autre. »
Un large sourire éclaira la figure de Perelli ; ses yeux bruns étincelèrent.
« Mais c’est de l’amour, ça, petite folle… ma jolie chérie… »
Et, la prenant dans ses bras, il l’embrassa longuement…
CHAPITRE VI
Tony Perelli éprouvait de la sympathie pour sa nouvelle recrue, mais il se demandait quel poste il pourrait lui donner. Le jeune homme n’avait ni l’expérience, ni l’aplomb nécessaire pour faire un démarcheur. Il n’était pas ce qu’on appelait un « jaune », mais il semblait peu fait pour tuer : tuer n’étant pas un meurtre dans le cas où il s’agit de disposer d’un rival hostile à votre propre existence. Jimmie allait souvent chez Minn Lu et se montrait ouvertement amoureux d’elle. Mais Tony, loin de s’en formaliser, considérait la chose comme un hommage. Plusieurs fois, il fut tenté de renvoyer Jim à New-York ; il n’était dans aucun secret, sauf en ce qui concernait la mort de Vinsetti, et pour ce qui était de cette confession, Tony sentait clairement que le jeune homme ne chercherait jamais à s’en servir pour lui nuire.
Kelly aussi s’intéressait à lui.
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