Conn O’Hara tirait, froidement, scientifiquement, à coup sûr. Shaun O’Donnell s’écroula au pied de la barrière. Un sifflet retentit au loin.
« Filons ! » gronda O’Hara. Il bondit vers la voiture, prit le volant, démarra. À ses côtés, Jimmie semblait incapable de mouvement, voire de pensée… Shaun O’Donnell était mort… il l’avait tué… conduit lui-même à la mort… La trahison la plus noire !…
« Mon Dieu ! » fit-il. La voiture volait littéralement ; O’Hara avait déjà conduit en course et sa voiture était construite pour la vitesse.
« Je l’ai eu, dit-il. Garçon, vous l’avez manqué. Vous vous êtes émotionné. Je ne vous blâme pas, vous n’avez ni mon expérience ni mes nerfs. Ne vous en faites pas ; cramponnez-vous et buvez un coup dans cette bouteille, là, dans ma poche. Vous l’avez vu dégringoler ? Du premier coup. Mon « bébé » lui est entré juste sous le cœur. Quand je dirige mon pistolet sur un type, il n’a plus à s’intéresser qu’à la mort ! »
Cependant Jimmie, le nez sur la vitre embuée, murmurait en lui-même : Jimmie Mac Grath… meurtrier !
CHAPITRE VIII
La nouvelle se répandit, comme un éclair, à Chicago, que Shaun O’Donnell avait eu son compte réglé. – C’était extrêmement important, car Shaun était puissant. Pour les « petits tireurs », il en était un grand. Il leur fournissait très souvent une aide matérielle indispensable mais aussi, sur un mot de lui, des hommes mouraient brusquement, et parfois dans des conditions terribles. C’était lui qui avait pris à Perelli son ami d’enfance, un nommé Amigo. Un beau jour, celui-ci, appelé par téléphone, avait subitement disparu. À quelque temps de là, dans une petite plantation, on avait retrouvé son cadavre percé de balles et hâtivement enterré. Tony s’en était souvenu toujours. Ensuite… les amitiés n’ont pas à se mêler aux affaires.
La femme de Shaun, prise d’une crise de nerfs, avait été transportée à l’hôpital où son mari avait été recueilli, n’ayant plus besoin d’aucune aide, hormis du prêtre appelé en hâte. Le lieutenant de police Harrigan l’accompagnait. À leur arrivée, le prêtre murmura à voix basse :
« Avez-vous une idée de ce qui s’est passé ? Qui a pu faire le coup ? »
L’interne de service l’interrompit :
« Inutile de parler à voix basse ; il ne peut nous entendre, et quand, il le pourra, ce ne sera pas pour longtemps. »
Le prêtre continua :
« Je ne comprends pas ces crimes ; tous les jours on en apprend un de ce genre dans les journaux. C’est affreux ! C’est bien une fusillade de « gangsters » ? »
Harrigan fit : « Oui. »
« O’Donnell, continua l’autre, je connais ce nom. »
Il avait été enfant de chœur à la cathédrale du Saint-Nom.
« Effectivement, » dit Harrigan.
Puis il demanda au policeman qui avait relevé Shaun si celui-ci avait dit quelque chose. L’agent croyait avoir entendu un nom : « Jimmie », sortir des lèvres du mourant.
Harrigan s’étonna des circonstances dans lesquelles le meurtre s’était passé : O’Donnell laissant sa voiture à plus de 200 mètres de l’endroit du crime, s’y rendant à pied, seul, sans escorte, et hors de la ville elle-même. Il se demandait si Mike Funey ne l’avait pas lui-même « laissé sur place » ? Le prêtre n’avait jamais entendu cette expression.
« Bien sûr, mon Père, dit Harrigan. Cela veut dire : « envoyé à la mort par son propre clan ».
– Comment est-ce possible ?
– Parfois c’est le prix payé pour obtenir un répit, une trêve… ou la paix. Parfois les chefs de bande n’ont pas le contrôle de leurs propres hommes ; si l’un d’eux, de sa propre initiative, fusille son rival, le chef peut, soit embrasser la querelle de son subordonné, soit le « laisser sur place », autrement dit, l’envoyer à l’endroit précis où les vengeurs de l’autre bande pourront le rencontrer.
– Un sacrifice humain… murmura le prêtre.
– Humain… si ces gens l’étaient eux-mêmes ! Mais les comparer… »
Shaun venait de bouger ; une plainte s’exhalait de ses lèvres. L’interne dit, en le désignant :
« Vous n’aurez pas beaucoup de temps… ». Harrigan s’assit près du lit :
« Hello, Shaun, vous me reconnaissez, n’est-ce pas, mon garçon ? Pat Harrigan, le capitaine Harrigan… » L’autre eut une lueur d’intelligence dans le regard.
« J’ai toujours été un ami pour vous, mon garçon ; c’est moi qui ai pris soin de votre mère la première fois que vous avez été en prison.
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