Alors, vous allez me dire qui a fait le coup, n’est-ce pas ? » Le moribond eut un murmure…

« Bien sûr, j’ai prévenu votre femme, je lui ai envoyé ma propre voiture… « Ils » ne vous ont donné aucune chance de vous en tirer, n’est-ce pas ? Ils vous ont « laissé sur place » ? »

Shaun comprit mais ne répondit pas.

« Allons, décidez-vous, mon petit. Ce n’est pas Funey ?… Alors, des types de la bande Perelli ? »

Les yeux de Shaun regardaient… mais ses lèvres demeuraient closes. La voix de Harrigan se fit pressante :

« Vous n’allez pas paraître devant Dieu avec un mensonge dans la bouche, n’est-ce pas ? C’est Conn O’Hara qui vous a tiré dessus ? Shaun, ne partez pas sans dire la vérité ! C’est bien la bande Perelli ? C’est bien Conn O’Hara ? » Il attendit vainement. Fidèle à la vraie tradition, Shaun ne parla pas.

Il n’avait aucune confiance dans la police : pour lui cela ne signifiait rien. Il savait que sa propre police, celle de son clan, se chargerait de le venger promptement. Il se reposait entièrement sur une autorité autrement haute que celle des lois établies.

Harrigan lut dans son regard, vit, et il fit signa au prêtre d’approcher.

« Voilà comment ils sont tous… muets ! » fit-il amèrement.

Puis il sortit sa montre et attendit… Shaun O’Donnell ne le fit pas attendre longtemps.

… Mrs. O’Donnell arriva trop tard. Elle ne pleurait plus, et la décision avec laquelle elle se mit à régler tous les détails de l’enterrement, poids du cercueil d’argent, mesures, etc…, parut presque un signe de manque de cœur. Elle avait amené avec elle trois des principaux chefs de la bande ; l’un d’eux, Spike Milligan, un homme glacial, au visage comme taillé à coups de hache, aux cheveux couleur de sable, ressemblant comme extérieur à un employé de banque bien rétribué, – et qui, en réalité, était plus dangereux qu’un serpent à sonnettes, – fut chargé des détails de la vengeance. Mike Funey était en voyage d’affaires dans l’État d’Indiana.

« C’était Jimmie Mc Grath et Conn O’Hara, dit-elle ; vous les avez vus revenir, n’est-ce pas, Spike ?

– Je savais, dit celui-ci, que Shaun allait rencontrer Jimmie ; il ne me disait pas souvent où il allait, mais cette fois-ci, justement… Perelli a envoyé Jimmie parce qu’il savait que Shaun lui faisait confiance. Ces deux hommes-là doivent être réglés avant le retour de Mike. »

Les deux autres approuvèrent.

« Jimmie n’est rien, c’est un « jaune », un lâcheur… fit l’un d’eux.

– Ce n’est pas une raison pour qu’il s’en tire comme cela, dit Spike. O’Hara possède un appartement du côté de North State ; c’est là qu’il vit avec sa femme.

– Mais Perelli ?

– Aucun de vous n’a donc assez de cran pour le descendre ? cria Mrs. O’Donnell.

– Ce n’est pas si facile, dit Spike… et dans sa voix il y avait comme un accent d’humilité… Les deux autres ne se doutent pas qu’on les a vus, ce ne sera pas malin. »

Le visage de la femme refléta de la haine :

« Si je le voyais, c’est moi qui « réglerais » Perelli, » murmura-t-elle entre ses dents… Il y eut un long silence. Puis elle se leva brusquement.

« Allez faire leur affaire à ces deux-là, » ordonna-t-elle.

Et les « Tueurs » partirent remplir leur office.

CHAPITRE IX

La réaction de Jimmie Mc Grath fut inattendue ; il avait soudain recouvré tout son sang-froid, et ce fut sans aucune émotion apparente ou réelle qu’il quitta Conn O’Hara.

Il avait franchi le pas ; il ne lui restait qu’à attendre les événements. Il était sans pitié pour lui-même comme pour O’Donnell : assassin de minuit, assassin d’un ami, assassin de sang-froid, voilà ce qu’il était. Jusque-là, il n’avait même pas compris le sens ni la raison de ces tueries. Et voici qu’il était « Tueur » lui-même. Toute sa sensibilité était émoussée ; un anesthésique semblait avoir été appliqué sur son sens du juste et de l’injuste.

Il monta chez lui, se lava les mains, but plusieurs verres d’eau glacée, enleva sa veste, se mit à l’aise, s’étendit sur son lit, ramena la couverture sur lui, et éteignit la lumière.

Il aurait dû être en proie à l’insomnie, pourtant il s’endormit aussitôt.

Un coup fut frappé à sa porte. D’un bond il fut debout, son pistolet à la main ; il alla à la porte, le cœur battant. La voix d’Angelo se fit entendre :

« Ouvrez, Jimmie. »

Celui-ci tourna le loquet ; Angelo entra.

« Vous dormiez ? dit-il, franchement surpris. Mettez vos souliers, votre manteau, et venez.

– Tony a besoin de moi ?

– Il ne veut pas vous voir, mais il veut que vous couchiez ailleurs qu’ici, où cela ne vaut rien pour vous. »

Jimmie Mc Grath sentit sa gorge se serrer.

« Alors… ils savent… ce qui s’est passé entre Shaun et moi…

– Bien sûr, dit Angelo froidement. On a vu Conn rentrer avec vous. »

Jimmie mit ses souliers tant bien que mal, son manteau, glissa son arme dans sa poche et suivit Angelo.

« Éteignez et fermez à clef. »

Une petite voiture les attendait, gardée par deux hommes à qui ils ne parlèrent pas et qu’ils laissèrent sur le trottoir. Un quart d’heure plus tard, Jimmie était installé dans un nouveau petit hôtel à côté de l’appartement de Perelli.

« N’ouvrez à personne, dit Angelo en le quittant. Demain matin, je vous enverrai votre déjeuner. Tony aura besoin de vous voir.

– Où est Conn ?

– Chez lui, » dit l’autre avec impatience… Il était pressé de rentrer dans son lit d’où on l’avait arraché pour enlever la nouvelle recrue des mains des « Vengeurs » qui étaient sur ses traces.

Spike ne commença pas par Jimmie ; il alla d’abord au plus difficile. L’appartement d’O’Hara était éclairé ; la lumière se voyait de la rue. Spike entra dans un magasin et demanda Conn au téléphone.

« C’est vous, Conn ? c’est Spike qui parle… »

Il le connaissait, pour avoir fait partie de la bande.

« Dites donc, Conn, Shaun a eu son compte cette nuit, et je crois que l’organisation s’en va à vau-l’eau. Avez-vous une occasion de venir par ici ? »

O’Hara n’était pas très malin, mais un certain instinct l’avertit du danger.

« Bien sûr qu’il y a une occasion. Je vous verrai demain matin ; ce soir, j’ai la grippe, et je n’ai pu sortir de toute la soirée.

– On ne peut pas ce soir ? fit Spike.

– On ne peut pas demain matin ? répondit Conn.

– Peut-être vais-je venir vous voir et profiter de l’occasion.

– Vous ne savez pas à quel point vous profiterez de l’occasion en venant me voir cette nuit, » dit Conn, d’un ton sur lequel il était difficile de se méprendre.

Spike Milligan se demanda alors si O’Hara ne faisait pas partie d’une de ces « guérillas » qui se mettent au service de l’un ou de l’autre, sans être membres officiels de leur bande. Il opta dans ce sens et conclut que O’Hara n’était pas directement sous la protection de Perelli.

« Ce gaillard ne sera pas difficile à coincer, se dit-il, et il n’y aura pas de conséquences. »

Il se rendit donc chez Conn.