Le lendemain, des fruits et des fleurs parvinrent à la chambre du malade ; un carton mentionnait ; « de la part de Tony Perelli ». L’écriture manquait un peu de simplicité. Minn Lu ne fut pas choquée cette fois-là non plus ; la besogne d’un contrebandier était, dans un certain sens, plus honorable que l’art spécial d’un John Waite. Mais elle ne faisait pas de comparaisons. La troisième fois qu’elle vit Perelli, ce fut à l’occasion de sa première visite, chez elle. Waite dormait. Elle introduisit le visiteur avec un léger sentiment de gêne.

« Il dort, fit-il. Bon. J’ai vu le docteur ; il préconise son envoi sur la côte ; le vieux Peter aussi devrait y aller, mais il ne veut pas. Écoutez, Mrs. Waite, si c’est une question d’argent… »

Elle hocha la tête…

« Non, Mr. Perelli. Il ne peut pas accepter d’argent, parce qu’il ne pourrait pas le rendre honorablement. »

Elle employait souvent le mot « honorable ».

John Waite mourut une semaine plus tard, très paisiblement, sans causer le moindre embarras. Lorsque Minn l’eut enterré, qu’elle eut expliqué aux personnages officiels que son nom à elle n’était pas Waite, et, enfin, qu’elle eut écrit à sa mère, elle chercha du travail.

Il ne lui était pas difficile d’en trouver ; elle possédait un diplôme de l’Université de Columbia, et elle avait déjà gagné jusqu’à vingt-sept dollars par semaine en dessinant des robes pour un magazine féminin qu’aucune dame n’avait jamais vu ; mais elle préféra un moyen plus facile.

Un restaurant chinois avait besoin de serveuses. Elle écrivit au propriétaire, Che-Foo-Song, pour lui demander une place, mais avant qu’elle n’eût la réponse, Mose Lesson arriva avec une proposition.

Le vieil Italien était mort ; Perelli vint, la nuit, chercher ses affaires et recueillir spécialement ses souvenirs de famille, qui devaient être retournés en Italie à un petit-fils et à une nièce. Personne ne le vit, car, cette fois, il vint à pied, précédé et suivi de ses gardes du corps. Il entra rapidement et jeta en passant un regard sur la porte de Minn Lu.

Ce soir-là, l’immeuble était très bruyant. Au second, Laski, le Polak, qui ambitionnait de devenir champion du monde de tambour, faisait un vacarme terrible avec sa caisse, au grand dam et à l’extrême fureur de chaque locataire. Certains assuraient que ce tambour avait causé la mort de John Waite ; en fait il avait dû faire de la mort un refuge bien consolant…

Si Perelli avait pu voir Minn Lu entre les mains de Lesson, la figure toute pâle, les traits contractés…

« Ma petite, disait-il, vous pouvez compter sur ce que je vous dis ; je vous procurerai un emploi du temps rudement épatant. Ma parole, je suis fou de vous… »

Elle lutta ; elle avait besoin de lutter. Tony Perelli entendit son petit cri, tandis qu’il dévalait les marches de l’escalier. Il se précipita : la porte s’ouvrit ; il pénétra dans la pièce.

« Qu’est-ce que vous voulez, vous ? »

Mose était blanc de fureur ; sa vilaine figure grimaçait vers celle de Perelli :

« Fichez le camp !… » La voix de Perelli résonna, métallique, sans passion.

« Ficher le camp ? Sûrement je vais le faire, mais pas pour un damné Sicilien. »

Le poing de Mose partit, mais manqua Perelli. Les locataires des autres appartements entendirent comme un battement de tambour, légèrement plus bruyant et moins régulier…

Tony tenait son pistolet fumant à hauteur de la ceinture ; mais un second coup n’était pas nécessaire. Mose avait son compte. Il s’accrocha une seconde à la barre du lit, puis glissa à terre. Minn Lu dévisagea gravement le tué et celui qui l’avait tué… Son destin était fixé.

« Prenez votre manteau et venez, » dit Perelli d’une voix douce.

Ses ordres ne pouvaient jamais être pris pour des prières. Elle obéit. Elle le suivit dans la rue, puis dans la voiture qui attendait. Les hommes qu’il avait laissés se chargeraient de Mose Lesson, avec toute l’expérience voulue. Il n’y aurait pas d’histoire ; la situation était loin d’être extraordinaire, et les suites en seraient normales.

Un charretier, en effet, trouva le corps étendu sur la prairie, dans la neige, et les journaux écrivirent :

« Un nouveau coup de feu des Gangs. »

Et ce fut tout.

Pendant ce temps-là, Minn Lu avait pris sa place dans la maison de Tony et elle s’était habituée à ce qu’on l’appelât Mrs.