C’est tout. »
Tony approuva :
« C’est tout. »
Red s’en alla, la tête bourdonnante de projets, car il connaissait maintenant bien des trucs concernant la contrebande de l’alcool, trucs qu’il aurait toujours ignorés sans les leçons de Perelli.
Il se mit à la recherche d’un membre de la bande avec lequel il se trouvait en bons termes et, l’ayant découvert au « Bellini », se mit en devoir de le mettre abondamment au courant de tous ses griefs.
Vittorio Vinsetti était un jeune homme bien vêtu, dont le regard n’était jamais en repos ; il avait sans cesse l’air de s’attendre à trouver quelqu’un derrière lui. Il exprimait rarement son point de vue, mais il savait écouter. Il écouta. Il apprit la petite querelle de Red, l’histoire de Mose, et aussi comment il serait facile de créer une affaire en dehors des autres : se livrer à la contrebande, introduire de ce côté de la frontière de l’alcool, et ensuite trouver un marché pour l’écoulement. Et enfin, comment, avec l’aide de bons garçons capables de convaincre les patrons de cafés, on pourrait, en un laps de temps particulièrement court, acquérir une fortune.
Vinsetti écoutait d’autant plus attentivement, que lui-même avait tenu les mêmes propos et professé une opinion analogue. Mais en ce qui le concernait personnellement, il avait déjà son plan.
« Ainsi, vous voyez, Vins… finit par dire Red.
– Bien sûr que je vois, mais ce n’est pas si facile, Red ; et quoi qu’il en puisse être, vous êtes un écervelé de parler de la sorte.
– Mose était un type très franc…
– Mose était tout juste rien du tout… Maintenant il est mort, et ce n’est une perte, ni pour les États-Unis, ni pour la cause du Gouvernement. C’était simplement un bulletin de vote. Aux prochaines élections, vous n’aurez qu’à voter deux fois, et le voilà ressuscité. Je me demande ce que Perelli en pense. »
Tandis qu’il parlait, Red le considérait avec curiosité, car Vinsetti était presque un « Grand Tireur » et il avait la réputation d’être fort riche. La rumeur publique ne mentait pas. Vinsetti était un « indépendant » prêt à faire mentir la tradition, qui laissait entendre qu’une fois entré dans l’affaire, on n’en sortait plus. Sa cabine était louée sur L’Empress of Australia, car il se disposait à aller au Canada. Il avait déjà entamé des négociations en vue d’acheter une petite maison au bord de la mer à San Remo.
La franchise de Red était inquiétante, surtout au « Bellini », où chaque garçon était un espion.
Cette nuit-là il vit Perelli.
« Red est ulcéré, dit-il, et il parle. Il m’a cramponné au « Bellini » avec un plein sac de ressentiments.
– Je ne veux pas d’histoires », dit Tony Perelli. C’était son mot d’ordre et son alibi.
Mais Red, très excité, était parti pour de la mauvaise besogne et sans doute de la perturbation. Son imagination lui suggérait de brillantes idées ; par la voie d’un intermédiaire, il tâta Mike Funey, baron du Quartier Sud. Il ne trouva que Shaun O’Donnel qui était chef d’état-major de Mike par profession, et son beau-frère par alliance.
Mais Shaun était le véritable meneur, le cerveau de l’organisme. Il était petit, mince, irritable, trop vindicatif, dans ses actes, envers certains, trop désagréable pour d’autres. Il écouta les propositions de Red très froidement et ne lui prodigua aucun encouragement.
« Red, vous n’êtes bon ni pour moi ni pour personne, dit-il avec une rude franchise. Vous prisez et vous buvez. Nous n’avons pas de place pour des gaillards qui prisent. Perelli est ce qu’il est… mais nous ne voulons pas d’histoires avec lui.
– Mose, commença Red…
– Mose peut toujours rester en enfer, où est sa place, » dit Shaun.
Le lendemain ne fut signalé par aucun événement.
Puis, dans la grisaille d’un après-midi d’hiver, Red Galway se glissa jusqu’au Quartier général de la Police et demanda une entrevue avec le Commissaire Kelly. Il avait à se plaindre d’un agent de police. Il s’exprima à voix très haute, car le Quartier général de la Police se trouvait dans le « cercle » de Perelli et, à l’intérieur, comme à l’extérieur, il y avait des yeux et des oreilles très attentifs.
Personne d’autre que Red n’aurait eu l’idée de se rendre à la Police ; le procédé habituel consistait à prendre, par téléphone, un rendez-vous secret. Red, qui, dès qu’il était excité, n’avait plus aucune prudence, avait pris le taureau par les cornes, et, un quart d’heure plus tard, il se trouvait en tête à tête avec le chef des détectives, homme au visage sévère.
Il parla assez adroitement, évitant de prononcer des noms. La seule chose dont il paraissait certain, c’est que sa vie était en danger. Lorsqu’il eut parlé un peu, le Commissaire Kelly en était encore plus sûr que lui-même.
Red manquait d’intérêt pour Kelly ; il ne lui disait rien que celui-ci ne sût déjà. En outre, le policier pouvait se douter, par cruelle expérience, que s’il le citait comme témoin devant un jury, il rétracterait aussitôt toutes les paroles qu’il avait prononcées, et que s’il lui demandait un compte rendu écrit, il jurerait ensuite que celui-ci lui avait été arraché par la violence, par la ruse, ou en profitant d’un moment d’inconscience obtenu de lui par un moyen de coercition.
Le chef savait comment Mose était mort et pourquoi ; il connaissait les noms des hommes qui avaient emporté son corps, le numéro de la voiture volée et abandonnée ensuite.
Red aurait bien continué toute la nuit, mais le Commissaire avait du travail et n’aimait guère les monologues.
« Voulez-vous que je vous fasse garder ? » demanda-t-il. Indigné, Red s’écria :
« Quoi ? Moi ? Je pense que je suis capable de me surveiller tout seul. Non, Commissaire ; demain je vais voir des amis qui me procureront tout l’argent dont j’ai besoin. »
L’intoxication de Red atteignait toujours un degré où il se découvrait de riches partisans.
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