Il en était arrivé là.

Il sortit dans la rue, avec trois ombres derrière lui. Deux d’entre elles étaient des officiers de police.

« Ne perdez pas cet oiseau de vue, » avait dit le Chef.

Il n’avait pas dépassé le coin du bâtiment que deux hommes l’accostaient, un de chaque côté.

« Voyons, qu’est-ce que… commença Red, tandis que les deux acolytes l’entouraient affectueusement de leurs bras.

– Crie et tu es mort, dit l’un avec un accent de plaisanterie… » Il appuyait le museau d’un pistolet sur les côtes du prisonnier.

Les détectives qui suivaient, en arrière, étaient novices dans ce genre de jeu. Ils assistèrent à l’arrivée des deux amis de leur client sans se rendre compte de la réalité, et lorsque les trois hommes montèrent dans une voiture qui les attendait, leur gaillard à côté du chauffeur, ils songèrent, un peu tard évidemment, à appeler un taxi. Avant qu’ils en eussent trouvé un, la voiture était hors de vue.

Red ne se rendit pas bien compte de ce qui lui arrivait. Un ivrogne peut être dégrisé, mais il est malaisé de faire reprendre ses sens normaux à celui qui a prisé de la « coco ». Il s’aperçut seulement que l’homme placé derrière lui, tout en bavardant sur un ton enjoué avec le chauffeur, lui appuyait quelque chose de dur et de froid sur la nuque. Il voulut se mêler à la conversation ; on le fit taire brutalement.

« Je me demande, dit le conducteur, comment votre gorge ne vous fait pas mal à force de vous être plaint aux policiers. »

Ils avaient quitté la ville et s’étaient engagés dans une banlieue triste, morne, avec, par-ci, par là, une maison isolée. Parvenus à un petit boqueteau d’arbres près de la route, le conducteur s’arrêta :

« Descendez, » dit-il à Red.

L’effet de la drogue diminuait ; il tremblait de la tête aux pieds.

« Quelle est votre idée ? demanda-t-il d’une voix chevrotante. Je ne me suis plaint de rien du tout. Ramenez-moi à Tony… »

Les deux autres acolytes le prirent chacun sous un bras et le conduisirent un peu à l’écart, derrière le bosquet.

« Vous n’allez tout de même pas me… descendre ? fit-il dans un hoquet… Écoutez, je n’ai rien fait… »

L’homme arma son pistolet, puis tira. Red tomba sur les genoux ; il n’entendit ni la première détonation, ni la seconde. L’exécuteur remit son arme dans sa poche, alluma une cigarette ; la flamme de l’allumette ne vacilla même pas.

« Allons-nous-en, » dit-il.

Il remonta dans la voiture à la place qu’occupait Red.

À mi-chemin de la ville, le conducteur vit l’automobile de la police et entendit la sirène ; il lança la voiture en avant et appuya sur l’accélérateur à fond.

« Attrape la machine à écrire, dit-il, elle est sous le siège. »

L’autre se pencha au-dessus de lui ; soulevant le coussin noir, il sortit le canon d’une mitrailleuse portative.

« Ils ont dû recevoir un coup de téléphone de Kelly », fit l’un d’eux.

L’automobile approchait.

Rat-a-tat-a-tat-a-tac.

Le pare-brise de la voiture poursuivante vola en éclats. Il y eut un petit dérapage, puis la poursuite reprit. Trois éclairs jaillirent ; la mitrailleuse riposta. Le chauffeur de la voiture de derrière fit un écart fou ; la gerbe de balles manqua son but.

« Enfer, » dit le mitrailleur.

Il appuya le canon de l’arme sur l’arrière de la voiture, l’assura pour mieux reprendre sa ligne de mire, et ajusta son tir… puis se laissa doucement glisser à terre. Il venait de recevoir une balle.

La mitrailleuse resta un instant immobile, ensuite elle tomba sur la route. Il y eut une petite détonation. La voiture de la police avait heurté l’arme et le choc avait fait éclater un des pneus. L’assassin regarda…

« Elle est dans le fossé, Joe, vas-y… »

Il prit une petite lampe électrique, en dirigea le rayon sur le corps allongé par terre. Au milieu du front, un vilain trou rouge apparaissait.

L’homme reprit sa place auprès du chauffeur.

Tout le long du chemin, ils ne parlèrent que de la grande partie de base-ball qui devait avoir lieu bientôt, tandis que le cadavre, derrière, roulait et heurtait les parois de la voiture à chaque tournant.

CHAPITRE III

Vinsetti n’était pas un « gangster » ordinaire. Pendant deux ans il avait été l’ambassadeur de la bande, le plénipotentiaire voyageant d’une côte à l’autre, celui qui passait et repassait les Grands Lacs du Canada.

Il s’était montré fin négociateur de grande envergure, et avait conclu des affaires destinées à prendre un développement considérable, pour peu que les « gangsters » dirigeants tinssent leurs engagements.

C’était un tout jeune homme, de fort belle mine ; il soutenait brillamment une réputation de galanterie, non surfaite, et se croyait irrésistible. Cela se justifiait le plus souvent. Mais il commit l’erreur de se fiancer, au Canada, avec une jeune personne qui prit très mal le congé qu’il ne tarda pas à lui signifier. Il reçut divers avis d’un caractère judiciaire : poursuite en rupture de promesse, voire pire. L’avoué qu’il prit ne valait pas grand-chose, il accepta l’argent, s’occupa vaguement de l’affaire, puis la laissa tomber. Le résultat fut qu’à la visite suivante que Vinsetti fit à Toronto, il fut condamné à de gros dommages et intérêts et arrêté ; il paya, parce qu’il le fallait bien. Mais il perdit son poste d’agent acheteur et d’intermédiaire ; son revenu subit une baisse considérable.

« Je ne veux pas d’histoires, dit Tony Perelli lorsque l’affaire vint en discussion. Vous êtes en mauvais termes avec les « gars » du Canada ; je ne peux pas avoir à mon service des gens compromis sur le marché.

– Je ne vois pas en quoi cela peut vous causer du tort, » dit Vinsetti, qui bouillait intérieurement.

Tony lissa sa petite moustache.

« Peut-être pas, fit-il. Peut-être la fille n’a-t-elle pas geint devant le juge, ni raconté que vous faisiez la contrebande du whisky, et traitiez des affaires d’un million de dollars. Peut-être n’a-t-elle pas dit que vous travailliez avec Antonio Perelli… Tout ça est bien mauvais… »

Il hocha la tête.

« Allez donc dans l’Est, Vittorio mio ; il y a beaucoup à faire, beaucoup d’argent à gagner, beaucoup d’amusements.