Votre offense comme la sienne étaient pardonnées. On aurait pu, jusqu’à cette limite-là, en arriver à une véritable bataille, sans que rien de désagréable ni de tragique en sortit ; mais, au-delà de cette frontière, la mort arrivait, rapide, sans merci, immédiate…

 

Chez lui, la promptitude était à la base de tout, gouvernait tout, actions et pensées. Jusque-là, la dispute avait été d’ordre purement privé : dignité blessée, diminution aux yeux de la femme ; il ne tuerait personne pour cela. Mais, mis en présence de la lueur rouge, Vinsetti devint circonspect, prudent et froid. Il avait une mentalité de diplomate et savait qu’une des armes principales de cette fonction consiste à donner à l’adversaire l’impression la plus favorable de ses propres réaction. C’est pourquoi Vinsetti discuta, prétendit qu’il était bien davantage un amoureux pris en faute qu’un camarade déloyal et, au bout de quelques instants, il lui sembla que sa situation s’améliorait et revenait normale. Peut-être son imagination avait-elle une grande part dans cette impression.

 

Tony se montra généreux au-delà de son habitude : car il y avait en lui du chat, et il aimait à frapper brusquement, sans avertissement. Cette fois il avertissait. Lorsque Vinsetti revint le voir, il lui fit une proposition :

« Il n’y aura pas de vacances pour vous cette année, Vittorio… Si vous vendiez la place que vous avez retenue sur L’Empress of Australia ? Il est inutile de gaspiller de l’argent. »

Pas autre chose, pas de récriminations. Car quelqu’un qui abandonne la bande est proscrit, et, si on le découvre après qu’il a fait son coup, toutes sortes d’ennuis l’attendent. On le fait passer pour criminel ; les ports étrangers lui sont interdits ; il ne débarque que pour être arrêté, et peut-être déporté. Enfin, s’il revient, c’est pour trouver des pistolets qui sont prêts…

 

Le service d’espionnage de Perelli était un modèle du genre. Dans les banques, des employés le tenaient au courant de tout ce qui concernait ses hommes, financièrement parlant.

Il connaissait leur crédit à un centime près ; il était immédiatement renseigné lorsqu’un transfert de fonds se faisait sur un pays étranger, et il faisait particulièrement attention aux chèques tirés sur des Compagnies maritimes ou touristiques.

Vinsetti était un des hommes de la bande ayant un compte en banque.

Généralement les « gangsters » n’ont aucune confiance dans les banques et préfèrent mettre leurs gains en lieu sûr. Tony pouvait surveiller la partie la plus intime de la vie de Vinsetti ; il était au courant de la lettre de crédit qui lui avait été vendue par sa banque.

Son grief principal était l’allusion au « Cicéro ».

Angelo fut d’accord pour estimer que c’était bien dommage pour Vinsetti, car ce garçon était sage et avisé ; il était précieux d’avoir des gens de sa trempe pour négocier avec les respectables canailles qui fournissaient la matière première du commerce de Perelli. Il n’avait pas son rival comme « officier de liaison » ; il pouvait entrer et sortir, dans n’importe quel endroit ou pays, sans laisser la moindre trace de son passage.

Il était persona grata auprès de Mike Funey, de Joe le Polak et de nombreuses têtes de diverses organisations… Il était discret ; on pouvait se fier à sa parole… En outre, c’était le « prototype » du parfait « Tireur ». Comme disait Angelo Vérona, c’était vraiment dommage !

Les événements avançaient dans un sens inévitable.

Les branches où l’activité de Perelli se donnait libre jeu étaient multiples. Il ne favorisait ni ne finançait jamais le vol vulgaire, avec ou sans violence. L’argent de ses victimes était toujours trouvé intact ; on découvrait parfois des sommes énormes dans les poches des hommes tués et abandonnés sur le bord de la route.

Sa parole était sa garantie ; son crédit était immense ; son chiffre d’affaires colossal. Et, bien qu’il eût une petite armée de personnes spécialement chargées de le renseigner, les moindres détails restaient dans sa mémoire.

Son don le plus enviable était un sixième sens qui l’avertissait du danger, et il obéissait aveuglément à cette intuition si juste. La plupart du temps, les raisons qu’il donnait d’un acte soudain, récompense ou punition, n’étaient jamais les vraies, Red avait été ostensiblement tué pour une visite à la police, et il ne mourut pas à cause d’un danger immédiat… mais futur.

CHAPITRE IV

Si les punitions de Perelli étaient sans merci, ses récompenses frisaient la munificence. Il dépensa cinquante mille dollars pour l’appartement d’Angelo ; il renvoya riche en Sicile une recrue trop maladroite pour être un bon « gangster », mais qui lui avait sauvé la vie. C’était un homme vraiment trop incapable pour être conservé et un trop brave homme pour être congédié.

Vinsetti ? Perelli pensait bien des choses de Vinsetti. Le « lieutenant » écrivit par l’intermédiaire d’un agent pour annuler sa place à bord de L’Empress of Australia, et, par l’intermédiaire d’un autre, il retint la même place sous un autre nom. Exactement comme l’avait prévu Perelli. De plus, le charme de Minn Lu opérait toujours. Vittorio lui envoyait des fleurs, de petits billets poétiques bien tournés, que Tony lisait en souriant.

« Vittorio est un chic écrivain ; demande-lui de revenir Minn Lu… Bien sûr que cela m’est égal !… J’aime ça… C’est un type sympathique et très drôle. »

Minn Lu, de son écriture d’écolière, écrivit. Vinsetti revint et prit le thé, Tony parfois était là, mais la plupart du temps il n’y était pas.

On pouvait avoir besoin de Vinsetti, avant longtemps comme arbitre.

Les deux grandes « Bandes » commençaient à empiéter sur le territoire l’une de l’autre, à travers une zone neutre. Les gens de Funey fournissaient beaucoup de bars en liqueurs fortes et bières dans le quartier Nord. Mike avait deux brasseries et était millionnaire.

Les deux « Bandes » opéraient côte à côte sur ce terrain « no man’s land » et les patrons des cafés pouvaient, sans danger, acheter des deux côtés. Il n’y avait pas de conditions ; prenez ma marchandise ou n’en prenez pas du tout.

Brusquement, Mike changea d’attitude, réclama des droits absolus, menaça, usa des représailles habituelles.