écoute !... on monte l’escalier.
– Mon Dieu ! il me semble que ce n’est pas la marche de Dagobert ; entends-tu comme ces pas sont lourds ?
– Rabat-Joie ! ici tout de suite... vient nous défendre ! s’écrièrent les deux sœurs au comble de l’épouvante.
En effet, des pas d’une pesanteur extraordinaire retentissaient sur les marches sonores de l’escalier de bois, et une espèce de frôlement singulier s’entendait le long de la mince cloison qui séparait la chambre du palier. Enfin un corps lourd tombant derrière la porte l’ébranla violemment. Les jeunes filles, au comble de la terreur, se regardèrent sans prononcer une parole ; la porte s’ouvrit : c’était Dagobert. À sa vue, Rose et Blanche s’embrassèrent avec joie, comme si elles venaient d’échapper à un grand danger.
– Qu’avez-vous ? pourquoi cette peur ? leur demanda le soldat surpris.
– Oh ! si tu savais... dit Rose d’une voix palpitante, car son cœur et celui de sa sœur battaient avec violence. Si tu savais ce qui vient d’arriver... Ensuite, nous n’avions pas reconnu ton pas... il nous avait semblé si lourd... et puis ce bruit... derrière la cloison.
– Mais, petites peureuses, je ne pouvais pas monter l’escalier avec des jambes de quinze ans, vu que j’apportais sur mon dos mon lit, c’est-à-dire une paillasse, que je viens de jeter derrière votre porte, pour m’y coucher comme d’habitude.
– Mon Dieu ! que nous sommes folles, ma sœur, de n’avoir pas songé à cela ! dit Rose en regardant Blanche.
Et ces deux jolis visages, pâlis ensemble, reprirent ensemble leurs fraîches couleurs.
Pendant cette scène, le chien, dressé contre la fenêtre, ne cessait d’aboyer.
– Qu’est-ce que Rabat-Joie a donc à aboyer de ce côté-là, mes enfants ? dit le soldat.
– Nous ne savons pas... on vient de casser des carreaux à la croisée, c’est ce qui a commencé à nous effrayer si fort.
Sans répondre un mot, Dagobert courut à la fenêtre, l’ouvrit vivement, poussa la persienne et se pencha au dehors... et ne vit rien... que la nuit noire... Il écouta... il n’entendit que les mugissements du vent.
– Rabat-Joie, dit-il à son chien en lui montrant la fenêtre ouverte... saute là, mon vieux, et cherche !
Le brave animal fit un bond énorme et disparut par la croisée élevée seulement de huit pieds environ au-dessus du sol. Dagobert, penché, excitait son chien de la voix et du geste.
– Cherche, mon vieux, cherche !... S’il y a quelqu’un, saute dessus, tes crocs sont bons... et ne lâche pas avant que je sois descendu.
Rabat-Joie ne trouva personne. On l’entendait aller, revenir, en cherchant une trace de côté et d’autre, jetant parfois un cri étouffé, comme un chien courant qui quête.
– Il n’y a donc personne, mon brave chien ? car s’il y avait quelqu’un, tu le tiendrais déjà à la gorge.
Puis, se tournant vers les jeunes filles, qui écoutaient ses paroles et suivaient ses mouvements avec inquiétude :
– Comment ces carreaux ont-ils été cassés ? Mes enfants, l’avez-vous remarqué ?
– Non, Dagobert ; nous causions ensemble, nous avons entendu un grand bruit, et puis les carreaux sont tombés dans la chambre.
– Il m’a semblé, ajouta Rose, avoir entendu comme un volet qui aurait tout à coup battu contre la fenêtre.
Dagobert examina la persienne, et remarqua un assez long crochet mobile destiné à la fermer en dedans.
– Il vente beaucoup, dit-il, le vent aura poussé cette persienne... et ce crochet aura brisé les carreaux... Oui, oui, c’est cela... Quel intérêt d’ailleurs pouvait-on avoir à faire ce mauvais coup ? Puis, s’adressant à Rabat-Joie :
– Eh bien... mon vieux, il n’y a donc personne ?
Le chien répondit par un aboiement dont le soldat comprit sans doute le sens négatif, car il lui dit :
– Eh bien, alors, reviens... fais le grand tour... tu trouveras toujours une porte ouverte... tu n’es pas embarrassé.
Rabat-Joie suivit ce conseil : après avoir grogné quelques instants au pied de la fenêtre, il partit au galop pour faire le tour des bâtiments et rentrer dans la cour.
– Allons, rassurez-vous, mes enfants, dit le soldat en revenant auprès des orphelines. Ce n’est rien que le vent...
– Nous avons eu bien peur, dit Rose.
– Je le crois...
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