Mais j’y songe, il peut venir par là un courant d’air, et vous aurez froid, dit le soldat en retournant vers la fenêtre dégarnie de rideaux.
Après avoir cherché le moyen de remédier à cet inconvénient, il prit sur une chaise la pelisse de peau de renne, la suspendit à l’espagnolette, et, avec les pans, boucha aussi hermétiquement que possible les deux ouvertures faites par le brisement des carreaux.
– Merci, Dagobert... Comme tu es bon ! Nous étions inquiètes de ne pas te voir...
– C’est vrai... tu es resté plus longtemps que d’habitude.
Puis, s’apercevant alors seulement de la pâleur et de l’altération des traits du soldat, qui était encore sous la pénible impression de sa scène avec Morok, Rose ajouta :
– Mais qu’est-ce que tu as ?... Comme tu es pâle !
– Moi ! non, mes enfants... Je n’ai rien...
– Mais si, je t’assure... Tu as la figure toute changée... Rose a raison.
– Je vous assure... que je n’ai rien, répondit le soldat avec assez d’embarras, car il savait peu mentir ; puis, trouvant une excellente excuse à son émotion, il ajouta :
– Si j’ai l’air d’avoir quelque chose, c’est votre frayeur qui m’aura inquiété, car, après tout, c’est ma faute...
– Ta faute ?
– Oui, si j’avais perdu moins de temps à souper, j’aurais été là quand les carreaux ont été cassés... et je vous aurais épargné un vilain moment de peur.
– Te voilà... nous n’y pensons plus.
– Eh bien ! tu ne t’assieds pas ?
– Si, mes enfants, car nous avons à causer, dit Dagobert en approchant une chaise et se plaçant au chevet des deux sœurs. Ah çà ! êtes-vous bien éveillées ? ajouta-t-il en tâchant de sourire pour les rassurer. Voyons, ces grands yeux sont-ils bien ouverts ?
– Regarde, Dagobert, dirent les petites filles en souriant à leur tour, et ouvrant leurs yeux bleus de toute leur force.
– Allons, allons, dit le soldat, ils ont de la marge pour se fermer ; d’ailleurs il n’est que neuf heures.
– Nous avons aussi quelque chose à te dire, Dagobert, reprit Rose, après avoir consulté sa sœur du regard.
– Vraiment ?
– Une confidence à te faire.
– Une confidence ?
– Mon Dieu, oui.
– Mais, vois-tu, une confidence très... très importante... ajouta Rose avec un grand sérieux.
– Une confidence qui nous regarde toutes les deux, reprit Blanche.
– Pardieu... je le crois bien... ce qui regarde l’une regarde toujours l’autre. Est-ce que vous n’êtes pas toujours, comme on dit, deux têtes dans un bonnet ?
– Dame ! il le faut bien, quand tu mets nos deux têtes sous le capuchon de ta pelisse... dit Rose en riant.
– Voyez-vous, les moqueuses, on n’a jamais le dernier mot avec elles. Allons, mesdemoiselles, ces confidences, puisque confidences il y a.
– Parle, ma sœur, dit Blanche.
– Non, mademoiselle, c’est à vous de parler, vous êtes aujourd’hui de planton comme aînée, et une chose aussi importante qu’une confidence, comme vous dites, revient de droit à l’aînée...
– Voyons, je vous écoute... dit le soldat, qui s’efforçait de sourire, pour mieux cacher aux enfants ce qu’il ressentait encore des outrages impunis du dompteur de bêtes.
Ce fut donc Rose, l’aînée de planton, comme disait Dagobert, qui parla pour elle et pour sa sœur.
Les confidences
– D’abord, mon bon Dagobert, dit Rose avec une câlinerie gracieuse, puisque nous allons te faire nos confidences, il faut nous promettre de ne pas nous gronder.
– N’est-ce pas... tu ne gronderas pas tes enfants ? ajouta Blanche d’une voix non moins caressante.
– Accordé, répondit gravement Dagobert, vu que je ne saurais trop comment m’y prendre... Mais pourquoi vous gronder ?
– Parce que nous aurions peut-être dû te dire plus tôt ce que nous allons t’apprendre...
– Écoutez, mes enfants, répondit sentencieusement Dagobert, après avoir un instant réfléchi sur ce cas de conscience, de deux choses l’une : ou vous avez eu raison, ou vous avez eu tort de me cacher quelque chose... Si vous avez eu raison, c’est très bien ; si vous avez eu tort, c’est fait ; ainsi maintenant n’en parlons plus. Allez, je suis tout oreilles.
Complètement rassurée par cette lumineuse décision, Rose reprit en échangeant un sourire avec sa sœur :
– Figure-toi, Dagobert, que voilà deux nuits de suite que nous avons une visite.
– Une visite !
Et le soldat se redressa brusquement sur sa chaise.
– Oui, une visite charmante... car il est blond !
– Comment diable, il est blond ? s’écria Dagobert avec un soubresaut.
– Blond... avec des yeux bleus... ajouta Blanche.
– Comment, diable ! des yeux bleus ?...
Et Dagobert fit un nouveau bond sur son siège.
– Oui, des yeux bleus... longs comme ça... reprit Rose en posant le bout de son index droit vers le milieu de son index gauche.
– Mais, morbleu ! ils seraient longs comme ça... et, faisant grandement les choses, le vétéran indiqua toute la longueur de son avant-bras ; ils seraient longs comme ça que ça ne ferait rien...
1 comment