Quand j’ai su où était le sac, l’argent et les papiers, ne pouvant mieux faire pour le moment, je suis revenu... et me voilà.
– Monte me chercher la pique de frêne la plus longue...
– Oui, maître.
– Et la couverture de drap rouge...
– Oui, maître.
– Va.
Goliath monta l’échelle ; arrivé au milieu, il s’arrêta.
– Maître, vous ne voulez pas que je descende... un morceau de viande pour la Mort ?... Vous verrez qu’elle me gardera rancune... Elle mettra tout sur mon compte... Elle n’oublie rien... et à la première occasion...
– La pique et la couverture ! répondit le prophète d’une voix impérieuse.
Pendant que Goliath, jurant entre ses dents, exécutait ses ordres, Morok alla entr’ouvrir la grande porte du hangar, regarda dans la cour et écouta de nouveau.
– Voici la pique de frêne et la couverture, dit le géant en redescendant de l’échelle avec ces objets. Maintenant, que faut-il faire ?
– Retourne au cellier, remonte près de la fenêtre, et quand le vieillard sortira précipitamment de la chambre...
– Qui le fera sortir ?
– Il sortira... que t’importe ?
– Après ?
– Tu m’as dit que la lampe était près de la croisée ?
– Tout près... sur la table, à côté du sac.
– Dès que le vieux quittera la chambre, pousse la fenêtre, fais tomber la lampe, et si tu accomplis prestement et adroitement ce qui te restera à exécuter... les dix florins sont à toi... Tu te rappelles bien tout ?...
– Oui, oui.
– Les petites filles seront si épouvantées du bruit et de l’obscurité, qu’elles resteront muettes de terreur.
– Soyez tranquille, le loup s’est fait renard, il se fera serpent.
– Ce n’est pas tout.
– Quoi encore ?
– Le toit de ce hangar n’est pas élevé, la lucarne du grenier est d’un abord facile... la nuit est noire... au lieu de rentrer par la porte...
– Je rentrerai par la lucarne.
– Et sans bruit.
– En vrai serpent.
Et le géant sortit.
– Oui ! se dit le Prophète après un assez long silence, ces moyens sont sûrs... Je n’ai pas dû hésiter... Aveugle et obscur instrument... j’ignore le motif des ordres que j’ai reçus ; mais d’après les recommandations qui les accompagnent... mais d’après la position de celui qui me les a transmis, il s’agit, je n’en doute pas, d’intérêts immenses... d’intérêts, reprit-il après un nouveau silence, qui touchent à ce qu’il y a de plus grand... de plus élevé dans le monde... Mais comment ces deux jeunes filles, presque mendiantes, comment ce misérable soldat, peuvent-ils représenter de tels intérêts ?... Il n’importe, ajouta-t-il avec humilité, je suis le bras qui agit... c’est à la tête qui pense et qui ordonne... de répondre de ses œuvres...
Bientôt le Prophète sortit du hangar en emportant la couverture rouge, et se dirigea vers la petite écurie de Jovial ; la porte, disjointe, était à peine fermée par un loquet. À la vue d’un étranger, Rabat-Joie se jeta sur lui ; mais ses dents rencontrèrent les jambards de fer, et le Prophète, malgré les morsures du chien, prit Jovial par son licou, lui enveloppa la tête de la couverture afin de l’empêcher de voir et de sentir, l’emmena hors de l’écurie, et le fit entrer dans l’intérieur de sa ménagerie, dont il ferma la porte.
La surprise
Les orphelines, après avoir lu le journal de leur père, étaient restées pendant quelque temps muettes, tristes et pensives, contemplant ces feuillets jaunis par le temps. Dagobert, également préoccupé, songeait à son fils, à sa femme, dont il était séparé depuis si longtemps, et qu’il espérait bientôt revoir. Le soldat, rompant le silence qui durait depuis quelques minutes, prit les feuillets des mains de Blanche, les plia soigneusement, les mit dans sa poche et dit aux orphelines :
– Allons, courage, mes enfants... vous voyez quel brave père vous avez ; ne pensez qu’au plaisir de l’embrasser, et rappelez-vous toujours le nom du digne garçon à qui vous devez ce plaisir ; car sans lui votre père était tué dans l’Inde.
– Il s’appelle Djalma... Nous ne l’oublierons jamais, dit Rose.
– Et si notre ange gardien Gabriel revient encore, ajouta Blanche, nous lui demanderons de veiller sur Djalma comme sur nous.
– Bien, mes enfants ; pour ce qui est du cœur, je suis sûr de vous, vous n’oublierez rien... Mais pour revenir au voyageur qui était venu trouver votre pauvre mère en Sibérie, il avait vu le général un mois après les faits que vous venez de lire, et au moment où il allait entrer de nouveau en campagne contre les Anglais ; c’est alors que votre père lui a confié ses papiers et la médaille.
– Mais cette médaille, à quoi nous servira-t-elle, Dagobert ?
– Et ces mots gravés dessus, que signifient-ils ? reprit Rose en la tirant de son sein.
– Dame ! mes enfants...
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