en un mot, qu’il s’agit d’être... presque ou de ne pas être pendant plusieurs années. Aussi faut-il, pour réussir, employer tous les moyens possibles, ne reculer devant rien, toujours en sauvant habilement les apparences.

– C’est écrit, dit Rodin après avoir ajouté les mots que son maître venait de lui dicter.

– Continuez...

Rodin continua : « Pour faciliter ou assurer la réussite de l’affaire en question, il est nécessaire de donner quelques détails particuliers et secrets sur les sept personnes qui représentent cette famille.

« On répond de la vérité de ces détails, au besoin on les compléterait de la façon la plus minutieuse ; car, des informations contradictoires ayant eu lieu, on possède des dossiers très étendus, on procédera par ordre de personnes, et l’on parlera seulement des faits accomplis jusqu’à ce jour. »

 

Note no 1

 

« Les demoiselles Rose et Blanche Simon, sœurs jumelles âgées de quinze ans environ. Figures charmantes, se ressemblant tellement qu’on pourrait prendre l’une pour l’autre ; caractère doux et timide, mais susceptible d’exaltation ; élevées en Sibérie par une mère esprit fort et déiste. Elles sont complètement ignorantes des choses de notre sainte religion.

« Le général Simon, séparé de sa femme avant leur naissance, ignore encore à cette heure qu’il a deux filles.

« On avait cru les empêcher de se trouver à Paris le 13 février, en faisant envoyer leur mère dans un lieu d’exil beaucoup plus reculé que celui qui lui avait d’abord été assigné ; mais leur mère étant morte, le gouverneur général de la Sibérie, qui nous est tout dévoué d’ailleurs, croyant, par une erreur déplorable, la mesure seulement personnelle à la femme du général Simon, a malheureusement permis à ces jeunes filles de revenir en France sous la conduite d’un ancien soldat.

« Cet homme, entreprenant, fidèle, résolu, est noté comme dangereux.

« Les demoiselles Simon sont inoffensives. On a tout lieu d’espérer qu’à cette heure elles sont retenues dans les environs de Leipzig. »

Le maître de Rodin, l’interrompant, lui dit :

– Lisez maintenant la lettre de Leipzig reçue tout à l’heure, vous pourrez compléter l’information.

Rodin lut, et s’écria :

– Excellente nouvelle ! les deux jeunes filles et leur guide étaient parvenus à s’échapper, pendant la nuit, de l’auberge du Faucon Blanc, mais tous trois ont été rejoints et saisis à une lieue de Mockern ; on les a transférés à Leipzig, où ils sont emprisonnés comme vagabonds ; de plus, le soldat qui leur servait de guide est accusé et convaincu de rébellion, voies de faits et séquestration envers un magistrat.

– Il est donc à peu près certain, vu la longueur des procédures allemandes (et d’ailleurs on y pourvoira), que les jeunes filles ne pourront être ici le 13 février, dit le maître de Rodin. Joignez ce dernier fait à la note par un renvoi...

Le secrétaire obéit, écrivit en note le résumé de la lettre de Morok et dit :

– C’est écrit :

– Poursuivez, reprit son maître.

Rodin continua à lire.

 

Note no 2

 

M. François Hardy, manufacturier au Plessis, près Paris.

 

« Homme ferme, riche, intelligent, actif, probe, instruit, idolâtré de ses ouvriers, grâce à des innovations sans nombre touchant leur bien-être ; ne remplissant jamais les devoirs de notre sainte religion : noté comme homme très dangereux,. mais la haine et l’envie qu’il inspire aux autres industriels, surtout à M. le baron Tripeaud, son concurrent, peuvent aisément tourner contre lui. S’il est besoin d’autres moyens d’action sur lui et contre lui, on consultera son dossier ; il est très volumineux : cet homme est depuis longtemps signalé et surveillé. On l’a fait si habilement circonvenir, quant à l’affaire de la médaille, que jusqu’à présent il est complètement abusé sur l’importance des intérêts qu’elle représente ; du reste, il est incessamment épié, entouré, dominé, même à son insu ; un de ses meilleurs amis le trahit, et l’on sait par lui ses plus secrètes pensées. »

 

Note no 3

 

Le prince Djalma.

 

« Dix-huit ans, caractère énergique et généreux, esprit fier, indépendant et sauvage ; favori du général Simon, qui a pris le commandement des troupes de son père, Kadja-Sing, dans la lutte que celui-ci soutient dans l’Inde contre les Anglais. On ne parle de Djalma que pour mémoire, car sa mère est morte jeune encore, du vivant de ses parents à elle, qui étaient restés à Batavia. Or, ceux-ci étant morts à leur tour, leur modeste héritage n’ayant été réclamé ni par Djalma ni par le roi son père, on a la certitude qu’ils ignorent tous deux les graves intérêts qui se rattachent à la possession de la médaille en question, qui fait partie de l’héritage de la mère de Djalma. »

Le maître de Rodin l’interrompit et lui dit :

– Lisez maintenant la lettre de Batavia, afin de compléter l’information sur Djalma.

Rodin lut et dit :

– Encore une bonne nouvelle... M. Josué Van Daël, négociant à Batavia (il a fait son éducation dans notre maison de Pondichéry), a appris par son correspondant de Calcutta que le vieux roi indien a été tué dans la dernière bataille qu’il a livrée aux Anglais. Son fils Djalma, dépossédé du trône paternel, a été provisoirement envoyé dans une forteresse de l’Inde comme prisonnier d’État.

– Nous sommes à la fin d’octobre, dit le maître de Rodin. En admettant que le prince Djalma fût mis en liberté et qu’il pût quitter l’Inde maintenant, c’est à peine s’il arriverait à Paris pour le mois de février...

– M. Josué, reprit Rodin, regrette de n’avoir pu prouver son zèle en cette circonstance ; si, contre toute probabilité, le prince Djalma était relâché ou s’il parvenait à s’évader, il est certain qu’alors il viendrait à Batavia pour réclamer l’héritage maternel, puisqu’il ne lui reste plus rien au monde. On pourrait dans ce cas compter sur le dévouement de M. Josué Van Daël. Il demande, en retour, par le prochain courrier, des renseignements très précis sur la fortune de M. le baron Tripeaud, manufacturier et banquier, avec lequel il est en relations d’affaires.

– À ce sujet vous répondrez d’une manière évasive, M. Josué n’ayant encore montré que du zèle... Complétez l’information de Djalma... avec ces nouveaux renseignements...

Rodin écrivit.

Au bout de quelques secondes, son maître lui dit avec une expression singulière :

– M. Josué ne vous parle pas du général Simon, à propos de la mort du père de Djalma et de l’emprisonnement de celui-ci ?

– M. Josué n’en dit pas un mot, répondit le secrétaire en continuant son travail.

Le maître de Rodin garda le silence, et se promena pensif dans la chambre.

Au bout de quelques instants, Rodin lui dit :

– C’est écrit...

– Poursuivez...

 

 

Note no 4

 

Le sieur Jacques Rennepont, dit Couche-tout-nu.

 

« Ouvrier de la fabrique de M. le baron Tripeaud, le concurrent de M. François Hardy.