ma mère... ne plus la revoir !... Oh ! ce serait affreux ! s’écria-t-il en tombant sur une chaise avec accablement et cachant sa figure dans ses mains. Cette grande douleur était sincère, cet homme aimait tendrement sa mère ; ce divin sentiment avait jusqu’alors traversé, inaltérable et pur, toutes les phases de sa vie... souvent bien coupable.
Au bout de quelques minutes, Rodin se hasarda de dire à son maître en lui montrant la seconde lettre :
– On vient aussi d’apporter celle-ci de la part de M. Duplessis : c’est très important... et très pressé...
– Voyez ce que c’est, et répondez... je n’ai pas la tête à moi...
– Cette lettre est confidentielle... dit Rodin en la présentant à son maître... je ne puis l’ouvrir... ainsi que vous le voyez à la marque de l’enveloppe.
À l’aspect de cette marque, les traits du maître de Rodin prirent une indéfinissable expression de crainte et de respect ; d’une main tremblante il rompit le cachet.
Ce billet contenait ces seuls mots :
« Toute affaire cessante... sans perdre une minute... partez... et venez... M. Duplessis vous remplacera ; il a des ordres. »
– Grand Dieu ! s’écria cet homme avec désespoir. Partir sans revoir ma mère... Mais c’est affreux... c’est impossible... C’est la tuer peut-être... oui... ce serait un parricide...
En disant ces mots, ses yeux s’arrêtèrent par hasard sur l’énorme sphère marquée de petites croix rouges... À cette vue, une brusque révolution s’opéra en lui ; il sembla se repentir de la vivacité de ses regrets ; peu à peu sa figure, quoique toujours triste, redevint calme et grave... Il donna la lettre fatale à son secrétaire, et lui dit en étouffant un soupir.
– À classer à son numéro d’ordre.
Rodin prit la lettre, y inscrivit un numéro, et la plaça dans un carton particulier.
Après un moment de silence, son maître reprit :
– Vous recevrez des ordres de M. Duplessis, vous travaillerez avec lui. Vous lui remettrez la note de l’affaire des médailles : il sait à qui l’adresser ; vous répondrez à Batavia, à Leipzig et à Charlestown dans le sens que j’ai dit. Empêcher à tout prix les filles du général Simon de quitter Leipzig, hâter l’arrivée de Gabriel à Paris ; et dans le cas peu probable où le prince Djalma viendrait à Paris, dire à M. Josué Van Daël que l’on compte sur son zèle et sur son obéissance pour l’y retenir.
Cet homme qui, au moment où sa mère mourante l’appelait en vain, pouvait conserver un tel sang-froid, rentra dans son appartement.
Rodin s’occupa des réponses qu’on venait de lui ordonner de faire, et les transcrivit en chiffres.
Au bout de trois quarts d’heure, on entendit bruire les grelots des chevaux de poste. Le vieux serviteur rentra après avoir discrètement frappé.
– La voiture est attelée, dit-il.
Rodin fit un signe de tête, le domestique sortit. Le secrétaire alla heurter à son tour à la porte de l’appartement de son maître.
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