quelques instants de trêve... nous sommes épuisés...
« – marche ! ! !
« – Mais si nous mourons à la peine, que deviendront et nos petits-enfants et nos vieilles mères ?
« – marche !... marche !...
« Et depuis des siècles, eux et moi, nous marchons et nous souffrons, sans qu’une voix charitable nous ait dit assez ! ! ! Hélas !... tel est mon châtiment, il est immense... il est double... Je souffre au nom de l’humanité en voyant des populations misérables, vouées sans relâche à d’ingrats et rudes travaux. Je souffre au nom de la famille, en ne pouvant, moi pauvre et errant, venir toujours en aide aux miens, à ces descendants d’une sœur chérie.
« Mais quand la douleur est au-dessus de mes forces... quand je pressens pour les miens un danger dont je ne peux les sauver, alors, traversant les mondes, ma pensée va trouver cette femme, comme moi maudite... cette fille de reine[4] qui, comme moi fils d’artisan, marche... marche, et marchera jusqu’au jour de sa rédemption... Une seule fois par siècle, ainsi que deux planètes se rapprochent dans leur révolution séculaire... je puis rencontrer cette femme... pendant la fatale semaine de la Passion.
« Et après cette entrevue remplie de souvenirs terribles et de douleurs immenses, astres errants de l’éternité, nous poursuivons notre course infinie.
« Et cette femme, la seule qui, comme moi sur la terre, assiste à la fin de chaque siècle, en disant : encore ! ! ! cette femme, d’un bout du monde à l’autre, répond à ma pensée...
« Elle, qui seule au monde partage mon terrible sort, a voulu partager l’unique intérêt qui m’ait consolé à travers les siècles... Ces descendants de ma sœur chérie, elle les aime aussi... elle les protège aussi... Pour eux aussi, de l’orient à l’occident, du nord au midi... elle va... elle arrive.
« Mais, hélas ! la main invisible la pousse aussi... le tourbillon l’emporte aussi. Et :
« – Marche !...
« – Qu’au moins je finisse ma tâche, dit-elle aussi.
« – Marche !...
« – Une heure... rien qu’une heure de repos !
« – Marche !...
« – Je laisse ceux que j’aime au fond de l’abîme.
« – Marche !... Marche ! ! !
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Pendant que cet homme allait ainsi sur la montagne, absorbé dans ses pensées, la brise du soir, jusqu’alors légère, avait augmenté, le vent devenait de plus en plus violent, déjà l’éclair sillonnait la nue... déjà de sourds et longs sifflements annonçaient l’approche d’un orage. Tout à coup, cet homme maudit, qui ne peut plus ni pleurer ni sourire, tressaillit.
Aucune douleur physique ne pouvait l’atteindre... et pourtant il porta vivement la main à son cœur, comme s’il eût éprouvé un contrecoup cruel. « Oh ! s’écria-t-il, je le sens... à cette heure... plusieurs des miens... les descendants de ma sœur bien-aimée souffrent et courent de grands périls... les uns au fond de l’Inde...
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