serra si violemment la corde que le sang jaillit de la peau... La victime fit quelques derniers mouvements convulsifs, et puis ce fut tout... Pendant cette rapide mais terrible agonie, le meurtrier, agenouillé devant sa victime, épiant ses moindres convulsions, attachant sur elle des yeux fixes, ardents, semblait plongé dans l’extase d’une jouissance féroce... ses narines se dilataient, les veines de ses tempes, de son cou se gonflaient, et ce même rictus sinistre, qui avait retroussé ses lèvres à l’aspect de Djalma endormi, montrait ses dents noires et aiguës, qu’un tremblement nerveux des mâchoires heurtait l’une contre l’autre. Mais bientôt il croisa ses bras sur sa poitrine haletante, courba le front en murmurant des paroles mystérieuses, ressemblant à une invocation ou à une prière... Et il retomba dans la contemplation farouche que lui inspirait l’aspect du cadavre...
L’hyène et le chat-tigre qui, avant de la dévorer, s’accroupissent auprès de la proie qu’ils ont surprise ou chassée, n’ont pas un regard plus fauve, plus sanglant que ne l’était celui de cet homme...
Mais se souvenant que sa tâche n’était pas accomplie, s’arrachant à regret de ce funeste spectacle, il détacha son lacet du cou de la victime, enroula cette corde autour de lui, traîna le cadavre hors du sentier, et, sans chercher à le dépouiller de ses anneaux d’argent, cacha le corps sous une épaisse touffe de joncs. Puis l’Étrangleur, se remettant à ramper sur le ventre et sur les genoux, arriva jusqu’à la cabane de Djalma, cabane construite en nattes attachées sur des bambous. Après avoir attentivement prêté l’oreille, il tira de sa ceinture un couteau dont la lame, tranchante et aiguë, était enveloppée d’une feuille de bananier, et pratiqua dans la natte une incision de trois pieds de longueur ; ceci fut fait avec tant de prestesse et avec une lame si parfaitement affilée, que le léger grincement du diamant sur la vitre eût été plus bruyant...
Voyant par cette ouverture, qui devait lui servir de passage, Djalma toujours profondément endormi, l’Étrangleur se glissa dans la cabane avec une incroyable témérité.
Le tatouage
Le ciel, jusqu’alors d’un bleu transparent, devint peu à peu d’un ton glauque, et le soleil se voila d’une vapeur rougeâtre et sinistre. Cette lumière étrange donnait à tous les objets des reflets bizarres ; on pourrait en avoir une idée en imaginant l’aspect d’un paysage que l’on regarderait à travers un vitrail couvert de cuivre. Dans ces climats, ce phénomène, joint au redoublement d’une chaleur torride, annonce toujours l’approche d’un orage. On sentait de temps à autre une fugitive odeur sulfureuse... Alors les feuilles, légèrement agitées par des courants électriques, frissonnaient sur leurs tiges... puis tout retombait dans le silence, dans une immobilité morne. La pesanteur de cette atmosphère brûlante, saturée d’âcres parfums, devenait presque intolérable ; de grosses gouttes de sueur perlaient le front de Djalma, toujours plongé dans un sommeil énervant... Pour lui, ce n’était plus du repos, c’était un accablement pénible.
L’Étrangleur se glissa comme un reptile le long des parois de l’ajoupa, et en rampant à plat ventre arriva jusqu’à la natte de Djalma, auprès duquel il se blottit d’abord en s’aplatissant, afin d’occuper le moins de place possible. Alors commença une scène effrayante, en raison du mystère et du profond silence qui l’entouraient. La vie de Djalma était à la merci de l’Étrangleur... Celui-ci, ramassé sur lui-même, appuyé sur ses mains et sur ses genoux, le cou tendu, la prunelle fixe, dilatée, restait immobile comme une bête féroce en arrêt... Un léger tremblement convulsif des mâchoires agitait seul son masque de bronze. Mais bientôt ses traits hideux révélèrent la lutte violente qui se passait dans son âme, entre la soif... la jouissance du meurtre que le récent assassinat de l’esclave venait encore de surexciter... et l’ordre qu’il avait reçu de ne pas attenter aux jours de Djalma, quoique le motif qui l’amenait dans l’ajoupa fût peut-être pour le jeune Indien plus redoutable que la mort même... Par deux fois l’Étrangleur, dont le regard s’enflammait de férocité, ne s’appuyant plus que sur sa main gauche, porta vivement la droite à l’extrémité de son lacet... Mais par deux fois sa main l’abandonna... l’instinct du meurtre céda devant une volonté toute-puissante dont le Malais subissait l’irrésistible empire. Il fallait que sa rage homicide fût poussée jusqu’à la folie, car dans ces hésitations il perdait un temps précieux... D’un moment à l’autre, Djalma, dont la vigueur, l’adresse et le courage étaient connus et redoutés, pouvait se réveiller. Et quoiqu’il fût sans armes, il eût été pour l’Étrangleur un terrible adversaire.
Enfin, celui-ci se résigna... il comprima un profond soupir de regret, et se mit en devoir d’accomplir sa tâche... Cette tâche eût paru impossible à tout autre...
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