Et sans tarder il se mit à parler des lits et bois de lits d'autrefois.

Le professeur prenait son temps. Mais il ne savait pas non plus que dans une boîte à herboriser était enfermé un pauvre petit être qui n'attendait que la fin de son discours. Quand il arriva dans une pièce ornée de maroquin doré, il raconta que les hommes, depuis l'origine des temps, avaient décoré leurs murs. Arrivé devant un vieux portrait de famille, il parla de l'aventure du costume et, dans les salles des fêtes, il décrivit comment autrefois on célébrait les mariages et les enterrements.

Le professeur ajouta aussi quelques mots sur les nombreux jeunes hommes et femmes vaillants qui avaient habité le château, des vieux Brahe et des Barnekow d'antan, de Kristian Barnekow qui avait offert son cheval au roi en fuite, de Margareta Ascheberg, épouse de Kjelle Barnekow et qui, devenue veuve, avait dirigé la ferme et toute la région pendant cinquante-trois ans, du banquier Hagerman, fils d'un tenancier de Vittskövle et qui était devenu si riche qu'il avait acheté la ferme entière, et des Stjernsvârd qui avaient procuré aux habitants de Scanie de meilleures charrues leur permettant de mettre au rancart leurs piètres charrues en bois que trois bœufs réussissaient à peine à ébranler.

Et durant tout ce temps, le marmot restait immobile. Et si un jour il lui était arrivé d'être méchant et d'enfermer son père ou sa mère dans la cave, il apprit ce jour-là ce qu'ils avaient dû ressentir, car des heures s'écoulèrent avant que le professeur s'arrêtât.

Finalement, le professeur ressortit dans la cour d'honneur où il parla du long travail accompli par la race humaine pour se procurer des outils et des armes, des vêtements et des maisons, des meubles et des décorations. Il dit qu'un château comme Vittskôvle formait comme une borne sur ce chemin, une borne qui permettait de voir où les hommes en étaient arrivés trois cent cinquante ans plus tôt, qui permettait de juger par soi-même si depuis les hommes avaient progressé ou régressé.

Mais le marmot échappa à ce discours car l'élève qui le portait, à nouveau tenaillé par la soif, s'était esquivé dans la cuisine pour demander un peu d'eau. Ainsi transporté dans la cuisine, le marmot envisagea de reprendre sa recherche du jars. Il commença à remuer et, ce faisant, il appuya si fort contre le couvercle que celui-ci s'ouvrit. Les couvercles des boîtes à herboriser s'ouvrent souvent ainsi et l'élève, sans y prendre particulièrement garde, la referma. Mais la cuisinière lui demanda alors s'il avait enfermé un serpent dans sa boîte.

- Non, seulement quelques plantes, répondit l'élève.

- Mais je suis sûre d'avoir vu bouger quelque chose, insista la cuisinière.

L'élève ouvrit alors la boîte pour lui montrer qu'elle se trompait.

- Regardez vous-même si...

Il n'en dit pas plus car le marmot, n'osant rester plus longtemps dans la boîte, était d'un bond par terre et se précipitait dehors. Les servantes eurent à peine le temps de voir ce qui courait ainsi mais elles se lancèrent néanmoins à sa poursuite.

Le professeur était encore en train de parler lorsqu'il fut interrompu par des cris.

- Attrapez-le ! Attrapez-le ! criaient-elles en se ruant hors de la cuisine, et tous les jeunes gens se ruèrent à leur tour derrière le marmot qui s'enfuyait plus vite qu'un rat. Ils essayèrent de le coincer sous le porche, mais ce n'était pas facile d'attraper quelqu'un d'aussi petit, et il réussit heureusement à se retrouver dehors.

Le gamin n'osa pas redescendre l'allée mais choisit une autre direction. Il traversa le jardin et entra dans l'arrière-cour. Et tous étaient encore à ses trousses en criant et riant. Le pauvre petit fuyait de toutes ses forces mais de toute évidence ces gens allaient le rattraper.

Alors qu'il passait en courant devant le logis d'un homme de peine, il entendit une oie caqueter et vit un duvet blanc sur le pas de la porte. Là ! c était là que se trouvait le jars ! Jusque-là, il avait suivi une mauvaise piste. Alors, oubliant les servantes et les hommes qui le poursuivaient, il grimpa les marches et se rua sur le perron, mais il ne put aller plus loin car la porte était fermée. De l'autre côté, il entendait le jars gémir et se plaindre, mais il ne pouvait ouvrir cette porte. La horde qui le poursuivait encore se rapprochait, et dans la pièce le jars se lamentait de plus en plus pitoyablement. Alors, dans cette détresse extrême, le gamin rassembla enfin tout son courage et frappa de toutes ses forces contre la porte.

Un enfant ouvrit, et le marmot regarda à l'intérieur. Au centre, une femme était assise, prête à couper les pennes du jars. Ses enfants l'avaient trouvé et elle ne voulait pas lui faire du mal, seulement le relâcher parmi ses oies, et si elle voulait lui couper les ailes, c'était pour l'empêcher de s'envoler. Mais pire malheur ne pouvait arriver au jars, et il criait et se lamentait tant et plus.

Et ce fut une chance que la femme n'eût pas commencé à couper plus tôt. Deux pennes seulement étaient passées sous les ciseaux lorsque la porte s'ouvrit et que la femme découvrit le marmot sur le seuil. Et jamais elle n'avait rien vu de semblable. Convaincue d'être en présence du Bon-Nisse11 en personne, terrorisée, elle en perdit ses ciseaux, serra ses mains l'une contre l'autre, et en oublia de maintenir le jars.

Dès que ce dernier se sentit libre, il courut vers la porte. Il ne prit pas le temps de s'arrêter, mais au passage il saisit le marmot par le col et l'emmena avec lui. Et sur le seuil il déploya ses ailes et monta en l'air, tout en tordant élégamment son cou pour déposer le marmot sur son dos duveteux.

Et ainsi ils grimpèrent dans les airs, tandis que tout Vittskövle les contemplait d'en bas.

Dans le parc d'Övedskloster

Durant toute la journée où les oies s'amusèrent avec le renard, le garçon dormit dans un nid d'écureuil abandonné. Lorsque le soir il se réveilla, l'inquiétude le reprit : « Maintenant, je vais me faire renvoyer chez moi, pensa-t-il, et je ne pourrai éviter de me montrer à papa et maman. »

Mais quand il alla voir les oies sauvages qui se baignaient dans le lac de Vomb, aucune d'entre elles ne dit mot sur son départ. « Elles doivent penser que le blanc est trop fatigué pour me ramener ce soir », pensa le garçon.

Le lendemain matin, les oies furent réveillées dès les premières lueurs de l'aube, bien avant le lever du soleil.