Le garçon, cette fois, était certain de l'imminence du retour chez lui mais, bizarrement, lui et le jars blanc purent accompagner les oies sauvages dans leur promenade matinale. Le garçon n'arrivait pas à comprendre la raison de ce délai mais, en y réfléchissant, il se dit que les oies ne désiraient sans doute pas renvoyer le jars dans un si long voyage sans qu'auparavant il eût pu manger à sa faim. Quoi qu'il en soit, il se réjouissait de tout retard apporté à la confrontation avec ses parents.
Les oies sauvages survolèrent le domaine d'Övedskloster, situé à l'est du lac. Le parc était magnifique, et le château très imposant, avec sa belle cour d'honneur pavée, entourée de murs bas et de pavillons, son jardin à l'ancienne, avec des haies taillées, des bassins, des fontaines, des arbres superbes et des pelouses tracées au cordeau, bordées de fleurs printanières multicolores.
Personne n'était levé à cette heure matinale où les oies survolèrent le domaine. Lorsqu'elles s'en furent assurées, elles descendirent vers l'enclos du chien et crièrent : « Qu'est-ce que c'est que cette petite baraque ? Qu'est-ce que c'est que cette petite baraque ? »
Immédiatement, le chien de garde sortit de sa niche et, furieux, aboya vers le ciel :
— Vous osez appeler ça une baraque, espèces de vagabondes ? Vous ne voyez pas qu'il s'agit d'un grand château en pierre ? Vous ne voyez pas ces belles murailles, ces innombrables fenêtres, ces grands portails et cette somptueuse terrasse, ouah, ouah, ouah ? Vous appelez ça une baraque, vous ? Vous ne voyez donc pas la cour, le jardin, les serres, vous ne voyez pas les statues en marbre ? Depuis quand les baraques ont-elles un parc planté de hêtres, de noisetiers et de chênes ? Avez-vous déjà vu des baraques entourées de prés et de sapinières remplies de chevreuils, ouah, ouah, ouah ? Vous appelez ça une baraque, vous ? Avez-vous déjà vu des baraques entourées d'autant de remises, qui possèdent leur propre presbytère, qui règnent sur des manoirs, des fermes, des métairies et des maisons de journaliers, ouah, ouah, ouah ? Une baraque ! Les plus belles terres de Scanie appartiennent à cette baraque, oui, espèces de mendiantes ! De là-haut où vous êtes, regardez, et vous ne verrez pas un lopin de terre qui ne dépende pas de cette baraque, ouah, ouah, ouah !
Le chien réussit à crier tout cela d'un seul souffle, tandis que les oies l'écoutaient, voletant de-ci, de-là, au-dessus du domaine. Finalement, il fut obligé de s'interrompre pour reprendre son souffle. Alors elles lui crièrent :
— Pourquoi te fâches-tu comme ça ? Nous ne parlions pas du château, nous parlions simplement de ta niche.
Le garçon rit en entendant cette plaisanterie mais ensuite une pensée s'insinua en lui et qui lui rendit son sérieux : «Tu te rends compte combien tu en entendrais des farces de ce genre si tu pouvais suivre les oies jusqu'en Laponie en traversant tout le pays ! » se dit-il. «Dans la mauvaise posture où tu te trouves, un voyage pareil serait la meilleure solution. »
Les oies sauvages rejoignirent un des grands champs de l'est du domaine et restèrent là des heures à grignoter des racines d'herbes. Pendant ce temps, le garçon entra dans le grand parc qui confinait au champ, chercha des noisetiers et les examina pour trouver si possible une ou deux noisettes restées là depuis l'automne précédent. Mais la pensée du voyage de retour le hantait. Il se figurait la joie qu'il aurait à suivre les oies sauvages. Il savait que la faim et le froid l'attendaient mais, en revanche, il serait débarrassé du travail et des études.
Tandis qu'il marchait, la vieille oie meneuse grise s'approcha de lui et lui demanda s'il avait trouvé de quoi manger. Et, comme il répondit par la négative, elle essaya de l'aider. Elle ne trouva pas de noisettes, elle non plus, mais quelques baies d'églantier. Le garçon les dévora de bon appétit tout en se demandant ce que sa mère aurait dit si elle avait appris qu'il était en train de se nourrir de poisson cru et de vieilles baies d'églantier ayant survécu à l'hiver.
Quand les oies sauvages furent enfin rassasiées, elles retournèrent vers le lac et s'amusèrent là jusque vers midi. Elles défièrent le jars blanc dans toutes sortes de compétitions sportives, se mesurèrent avec lui à la nage, à la course et au vol. Le grand jars domestique y mit toutes ses forces mais chaque fois fut battu par les oies sauvages beaucoup plus vives. Le garçon, lui, resta sans cesse sur le dos du jars pour l'encourager, tout en s'amusant autant que les autres. Et l'on se demandait comment les gens du domaine pouvaient ne pas entendre un tel tintamarre de cris, de rires et de caquètements.
Lorsque les oies sauvages eurent fini de jouer, elles retournèrent sur la glace pour y prendre du repos. L'après-midi se passa presque comme la matinée. Quelques heures de pâture, puis baignade et jeux dans l'eau en bordure de la glace jusqu'au coucher du soleil, lorsqu'il fut temps de s'installer rapidement pour dormir.
«Cette vie me conviendrait parfaitement», pensa le garçon en se glissant sous l'aile du jars. « Mais je suppose que demain elles me renverront chez moi. »
Et il s'enfonça dans le sommeil en pensant qu'en compagnie des oies sauvages il échapperait à toutes les réprimandes concernant sa paresse. Il pourrait ainsi musarder du matin au soir, n'ayant pour unique souci que de se trouver à manger. Il avait cependant besoin de si peu désormais qu'il trouverait aisément une solution.
Déjà il imaginait les spectacles et les aventures qui l'attendaient. Oui, quel changement avec la vie dure et ingrate de la maison. « Si seulement je pouvais accompagner les oies dans leur voyage, je cesserais de me lamenter sur mon état », pensait-il.
Sa plus grande peur était celle d'être renvoyé, mais le mercredi non plus les oies ne dirent rien au sujet de son départ. La journée se déroula comme la veille et, de plus en plus, le garçon appréciait la vie sauvage. Ce parc isolé d'Övedskloster, aussi vaste qu'une forêt, semblait n'appartenir qu'à lui, et il ne regrettait en rien la maisonnette exiguë et les petits champs de chez lui.
Le mercredi, il eut l'impression que les oies le garderaient auprès d'elles, mais le jeudi, il perdit à nouveau l'espoir.
Le jeudi commença comme les autres jours. Les oies pâturaient dans les grands champs et le garçon cherchait pitance dans le parc. Au bout d'un moment, Akka s'approcha de lui et lui demanda s'il avait trouvé à manger.
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