Et, lorsque ensuite les nuages se furent avancés en nombre suffisant pour remplir tout l'espace, ce fut comme si quelqu'un avait donné un signal, car d'un seul coup l'eau surgie des cuves, des tonneaux, des bouteilles et des sacs, ruissela sur la terre.
Au moment où les premières averses de printemps crépitèrent sur le sol, tous les petits oiseaux des bosquets et des prés lancèrent de tels cris de joie que l'air entier en résonna et, de là où il se trouvait, le garçon les entendit : « Voilà la pluie, la pluie nous apporte le printemps, le printemps nous apporte les fleurs et la verdure, la verdure et les fleurs nous apportent les vers et les insectes, les vers et les insectes sont notre nourriture, et nous ne demandons que de la nourriture en abondance », chantaient les petits oiseaux.
Les oies sauvages aussi appréciaient la pluie qui tirait les plantes de leur sommeil et perçait le toit de glace des lacs. Et, incapables de garder plus longtemps leur sérieux, elles lancèrent de drôles de cris sur le pays.
En survolant les grands champs de pommes de terre qui abondent dans la région de Kristianstad mais demeuraient alors encore nus et noirs, elles crièrent : « Réveillez-vous et soyez utiles ! Voilà qui va vous réveiller. Fini de paresser maintenant. »
Quand elles voyaient des gens qui se hâtaient de se mettre à l'abri, elles les interpellaient : «Pourquoi vous pressez-vous ? Ne voyez-vous pas qu'il pleut du pain et des gâteaux rôtis, du pain et des gâteaux rôtis ? »
Un gros nuage lourd avançait à vive allure vers le nord et suivait les oies de près. Elles semblaient s'imaginer qu'elles le traînaient derrière elles et, quand elles voyaient en dessous d'elles de grands Jardins, elles claironnaient avec fierté : « Nous apportons les anémones, nous amenons les roses, voilà des fleurs de pommier et des boutons de cerisier, voilà des petits pois et des haricots et des navets et du chou. Qui en veut, en voilà ! Qui en veut, en voilà ! »
Ainsi avaient-elles crié pendant les premières averses, quand tout le monde se réjouissait encore de la pluie mais, celle-ci continuant de tomber tout l'après-midi, les oies s'impatientèrent et crièrent aux forêts assoiffées qui bordaient le lac d'Ivô : « N'en aurez-vous pas bientôt assez ? N'en aurez-vous pas bientôt assez ? »
Le ciel était devenu d'un gris de plus en plus uniforme et le soleil se cachait si bien que personne n'aurait su dire où il était passé. La pluie tombait plus dru, martelant les ailes et essayant de s'infiltrer jusqu'au corps à travers les plumes huilées. Une brume de pluie cacha le sol ; les lacs, les collines et les forêts se confondirent en un mélange flou, et les repères devinrent indiscernables. La progression se fit de plus en plus lente, les cris joyeux se turent et le garçon se sentit de plus en plus pénétré par le froid.
Mais pas une seule fois il ne perdit courage pendant le vol et ne le perdit pas non plus lorsque, dans l'après-midi, ils se posèrent sous un petit pin rabougri au milieu d'un marécage où tout était mouillé et tout était froid, où certaines touffes restaient couvertes de neige et d'autres se dressaient, nues, dans des flaques d'eau glacée, à peine fondue. Non, il courut joyeusement ramasser des canneberges et des airelles gelées. Mais, plus tard, le soir vint et l'obscurité devint si épaisse que même des yeux comme ceux du garçon étaient incapables de la percer, et la nature sauvage devint horrible et angoissante. Le garçon était blotti sous l'aile du jars mais, trempé et gelé, il n'arrivait pas à dormir. Partout il entendait des froissements, des crissements, des pas furtifs et des voix menaçantes, et la terreur qui montait en lui était telle qu'elle le paralysait. Il fallait qu'il trouvât un endroit où brillaient le feu et la lumière s'il ne voulait pas mourir de frayeur.
« Et si j'osais retrouver les hommes, pour une nuit seulement ? » pensa le garçon. « Rien que pour rester un moment près d'un feu et pouvoir manger un morceau. Je pourrais revenir avec les oies sauvages avant le lever du soleil. »
Il se dégagea de l'aile et glissa à terre puis, sans réveiller le jars ni aucune des oies, il se faufila en silence hors du marécage.
Il aurait été incapable de dire où il pouvait bien se trouver, s'il était en Scanie, dans le Smâland ou dans le Blekinge mais, juste avant de descendre dans le marécage, il avait aperçu un gros village et c'est vers celui-ci qu'il se dirigeait maintenant. En peu de temps il découvrit une route et, bientôt, il se trouva dans la rue du village, une longue rue bordée d'arbres et de maisons accolées les unes aux autres.
Le garçon était arrivé à l'un de ces villages construits autour d'une église, si fréquents plus au nord mais que l'on ne voit guère dans les plaines de Scanie.
Les maisons, soigneusement construites en bois, étaient pour la plupart pourvues de pignons et de frontons bordés de linteaux sculptés, ainsi que de vérandas dont certaines aux vitres de couleur. Les murs étaient peints de couleurs claires, les portes et les rebords des fenêtres brillaient en bleu ou en vert ou même en rouge. Tout en marchant et en contemplant les maisons, le garçon entendait les gens installés chaudement à l'intérieur rire et parler. Il n'arrivait pas à discerner les paroles mais il était heureux d'entendre des voix humaines. « Je me demande bien ce qu'ils diraient si je frappais à la porte et leur demandais de me laisser entrer », pensa-t-il.
Et il avait effectivement l'intention de le faire mais maintenant, depuis qu'il voyait des fenêtres éclairées, la peur du noir l'avait quitté et ce qu'il ressentait une nouvelle fois c'était cette timidité au voisinage des hommes. « Je vais visiter ce village encore un moment, pensa-t-il, ensuite j'irai frapper chez quelqu'un. »
Une des maisons était pourvue d'un balcon et, au moment où le garçon passait en contrebas, les portes du balcon furent ouvertes et une lumière jaune filtra à travers des rideaux minces et légers. Puis une jolie jeune femme sortit sur le balcon et se pencha sur la balustrade.
— Il pleut, le printemps arrive, dit-elle.
En la voyant, le garçon ressentit une angoisse étonnante, comme s'il avait été sur le point de pleurer. Pour la première fois il se sentit inquiet d'être ainsi à l'écart des hommes.
Un peu plus tard, il arriva à hauteur d'un magasin devant lequel était rangée une semeuse mécanique rouge. Il s'arrêta, la contempla, puis finit par grimper sur le siège du cocher. Une fois installé là, il fit claquer ses lèvres comme s'il avait lancé un attelage. Il se dit que ce devait être merveilleux de mener une si belle machine à travers champs. L'espace d'un instant, il avait oublié ce qu'il était mais il en reprit vite conscience et il sauta prestement au bas de la machine. Une inquiétude de plus en plus vive l'étreignait : qui, comme lui, allait continuellement vivre parmi les animaux, passerait sans doute à côté d'une foule de choses. Les humains étaient quand même étonnamment habiles.
Passant ensuite devant le bureau de poste, il pensa à tous ces journaux qui, chaque jour, apportent les nouvelles des quatre coins du monde. Il vit la pharmacie et la maison du docteur, et il se dit que les hommes étaient assez puissants pour lutter contre la maladie et la mort.
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