Un jour leur père leur dit :
« Celui de vous deux qui me rapportera la
Rose-amère, à celui-là je transmettrai le
grand savoir. »
La Rose-amère se tient au sommet des plus
hauts pics. Celui qui en a mangé, dès qu'il
s'apprête à dire un mensonge, tout haut ou
tout bas, la langue lui brûle. Il peut encore
dire des mensonges, mais alors il est prévenu.
Quelques personnes ont aperçu la Rose-amère : cela ressemble, à ce qu'elles racontent, à une sorte de gros lichen multicolore,
ou à un essaim de papillons. Mais personne
ne l'a pu prendre, car le moindre frémissement de peur auprès d'elle l'effarouche, et elle
rentre dans le rocher. Or, si même on la
désire, on a toujours un peu peur de la
posséder, et aussitôt elle disparaît.
Pour parler d'une action impossible, ou
d'une entreprise absurde, on dit : « c'est
chercher à voir la nuit en plein jour », ou :
« c'est vouloir éclairer le soleil pour mieux le
voir », ou encore : « c'est essayer d'attraper
la Rose-amère ».
Mo a pris ses cordes et son marteau et sa
hache et des crochets de fer. Le soleil l'a
surpris aux flancs du pic Troue-les-nues.
Comme un lézard parfois, et parfois comme
une araignée, il s'élève le long de hautes
parois rouges, entre le blanc des neiges et le
bleu-noir du ciel. Les petits nuages rapides de
temps en temps l'enveloppent, puis le rendent
soudain à la lumière. Et voici qu'un peu au-dessus de lui il voit la Rose-amère, brillante
de couleurs qui ne sont pas des sept couleurs.
Il se répète sans arrêt le charme que son père
lui a enseigné, et qui protège de la peur.
Il faudrait un piton ici, avec un étrier de
corde, pour enfourcher ce cheval de pierre
cabré. Il frappe du marteau, et sa main
s'enfonce dans un trou. Il y a un creux sous la
pierre. Il brise la croûte de rocher, et voit que
ce creux a la forme d'un homme : un torse,
des jambes, des bras, et des creux en forme de
doigts écartés comme de terreur, et c'est la
tête qu'il a crevée d'un coup de marteau.
Un vent glacé passe sur la pierre. Mo a tué
un homme-creux. Il a frémi, et la Rose-amère
est rentrée dans le rocher.
Mo redescend au village, et il va dire à son
père : « J'ai tué un homme-creux. Mais j'ai
vu la Rose-amère, et demain j'irai la chercher. »
Le vieux Kissé devenait sombre. Il voyait
au loin les malheurs s'avancer en procession.
Il dit : « Prends garde aux hommes-creux. Ils
voudront venger leur mort. Dans notre
monde ils ne peuvent entrer. Mais jusqu'à la
surface des choses ils peuvent venir. Méfie-toi
de la surface des choses. »
A l'aube du lendemain, Hulé-hulé la mère
poussa un grand cri et se leva et courut vers la
montagne. Au pied de la grande muraille
rouge, les vêtements de Mo reposaient, et ses
cordes et son marteau, et sa médaille avec la
croix. Et son corps n'était plus là.
« Ho, mon fils ! » vint-elle crier, « mon fils,
ils ont tué ton frère ! »
Ho se dresse, les dents serrées, la peau de
son crâne se rétrécissait. Il prend sa hache et
veut partir. Le père lui dit : « Ecoute
d'abord. Voici ce qu'il faut faire. Les hommes-creux ont pris ton frère. Ils l'ont changé
en homme-creux. Il voudra leur échapper.
Aux séracs du Glacier limpide il ira chercher
la lumière. Mets à ton cou sa médaille avec la
tienne. Va vers lui et frappe à la tête. Entre
dans la forme de son corps.
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