Le Mystère de Marie Roget

Le Mystère de Marie Roget
Edgar Allan Poe
(Traducteur:
Charles Baudelaire)
Publication: 1850
Catégorie(s): Fiction, Nouvelles
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Poe:
Edgar Allan Poe was an American poet, short story writer,
playwright, editor, critic, essayist and one of the leaders of the
American Romantic Movement. Best known for his tales of the macabre
and mystery, Poe was one of the early American practitioners of the
short story and a progenitor of detective fiction and crime
fiction. He is also credited with contributing to the emergent
science fiction genre.Poe died at the age of 40. The cause of his
death is undetermined and has been attributed to alcohol, drugs,
cholera, rabies, suicide (although likely to be mistaken with his
suicide attempt in the previous year), tuberculosis, heart disease,
brain congestion and other agents. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks Poe:
Double Assassinat
dans la rue Morgue (1841)
Le Chat
noir (1843)
Silence
(1837)
Le Scarabée
d’or (1843)
La Lettre
Volée (1844)
Le Sphinx
(1846)
La Chute de la
maison Usher (1839)
Aventure sans
pareille d'un certain Hans Pfaal (1835)
Hop-Frog
(1850)
Le Cœur
révélateur (1843)
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Il y a des séries idéales d’événements qui courent parallèlement
avec les réelles. Les hommes et les circonstances, en général,
modifient le train idéal des événements, en sorte qu’il semble
imparfait ; et leurs conséquences aussi sont également
imparfaites. C’est ainsi qu’il en fut de la Réformation, au lieu du
protestantisme est arrivé le luthéranisme.
NOVALIS.
Il y a peu de personnes, même parmi les penseurs les plus
calmes, qui n’aient été quelquefois envahies par une vague mais
saisissante demi-croyance au surnaturel, en face de certaines
coïncidences d’un caractère en apparence si merveilleux que
l’esprit se sentait incapable de les admettre comme pures
coïncidences. De pareils sentiments (car les demi-croyances dont je
parle n’ont jamais la parfaite énergie de la pensée), de pareils
sentiments ne peuvent être que difficilement comprimés, à moins
qu’on n’en réfère à la science de la chance, ou, selon
l’appellation technique, au calcul des probabilités. Or ce calcul
est, dans son essence, purement mathématique ; et nous avons
ainsi l’anomalie de la science la plus rigoureusement exacte
appliquée à l’ombre et à la spiritualité de ce qu’il y a de plus
impalpable dans le monde de la spéculation.
Les détails extraordinaires que je suis invité à publier
forment, comme on le verra, quant à la succession des époques, la
première branche d’une série de coïncidences à peine imaginables,
dont tous les lecteurs retrouveront la branche secondaire ou finale
dans l’assassinat récent de Mary Cecilia Rogers, à New York.
Lorsque, dans un article intitulé Double Assassinat dans la rue
Morgue, je m’appliquai, il y a un an à peu près, à dépeindre
quelques traits saillants du caractère spirituel de mon ami le
chevalier C. Auguste Dupin, il ne me vint pas à l’idée que j’aurais
jamais à reprendre le même sujet. Je n’avais pas d’autre but que la
peinture de ce caractère, et ce but se trouvait parfaitement
atteint à travers la série bizarre de circonstances faites pour
mettre en lumière l’idiosyncrasie de Dupin. J’aurais pu ajouter
d’autres exemples, mais je n’aurais rien prouvé de plus. Toutefois,
des événements récents ont, dans leur surprenante évolution,
éveillé brusquement dans ma mémoire quelques détails de surcroît,
qui garderont ainsi, je présume, quelque air d’une confession
arrachée. Après avoir appris tout ce qui ne m’a été raconté que
récemment, il serait vraiment étrange que je gardasse le silence
sur ce que j’ai entendu et vu, il y a déjà longtemps.
Après la conclusion de la tragédie impliquée dans la mort de
Madame l’Espanaye et de sa fille, le chevalier Dupin congédia
l’affaire de son esprit, et retomba dans ses vieilles habitudes de
sombre rêverie. Très-porté, en tout temps, vers l’abstraction, son
caractère l’y rejeta bien vite, et continuant à occuper notre
appartement dans le faubourg Saint-Germain, nous abandonnâmes aux
vents tout souci de l’avenir, et nous nous assoupîmes
tranquillement dans le présent, brodant de nos rêves la trame
fastidieuse du monde environnant.
Mais ces rêves ne furent pas sans interruption. On devine
facilement que le rôle joué par mon ami dans le drame de la rue
Morgue n’avait pas manqué de faire impression sur l’esprit de la
police parisienne. Parmi ses agents, le nom de Dupin était devenu
un mot familier. Le caractère simple des inductions par lesquelles
il avait débrouillé le mystère n’ayant jamais été expliqué au
préfet, ni à aucun autre individu, moi excepté, il n’est pas
surprenant que l’affaire ait été regardée comme approchant du
miracle, ou que les facultés analytiques du chevalier lui aient
acquis le crédit merveilleux de l’intuition. Sa franchise l’aurait
sans doute poussé à désabuser tout questionneur d’une pareille
erreur ; mais son indolence fut cause qu’un sujet, dont
l’intérêt avait cessé pour lui depuis longtemps, ne fut pas agité
de nouveau. Il arriva ainsi que Dupin devint le fanal vers lequel
se tournèrent les yeux de la police ; et en maintes
circonstances, des efforts furent faits auprès de lui par la
préfecture pour s’attacher ses talents. L’un des cas les plus
remarquables fut l’assassinat d’une jeune fille nommée Marie
Roget.
Cet événement eut lieu deux ans environ après l’horreur de la
rue Morgue. Marie, dont le nom de baptême et le nom de famille
frapperont sans doute l’attention par leur ressemblance avec ceux
d’une jeune et infortunée marchande de cigares, était la fille
unique de la veuve Estelle Roget. Le père était mort pendant
l’enfance de la fille, et depuis l’époque de son décès jusqu’à
dix-huit mois avant l’assassinat qui fait le sujet de notre récit,
la mère et la fille avaient toujours demeuré ensemble dans la rue
Pavée-Saint-André[1], Madame
Roget y tenant une pension bourgeoise, avec l’aide de Marie. Les
choses allèrent ainsi jusqu’à ce que celle-ci eût atteint sa
vingt-deuxième année, quand sa grande beauté attira l’attention
d’un parfumeur qui occupait l’une des boutiques du rez-de-chaussée
du Palais-Royal, et dont la clientèle était surtout faite des
hardis aventuriers qui infestent le voisinage. M. Le Blanc[2] se doutait bien des avantages qu’il
pourrait tirer de la présence de la belle Marie dans son
établissement de parfumerie ; et ses propositions furent
acceptées vivement par la jeune fille, bien qu’elles soulevassent
chez Madame Roget quelque chose de plus que de l’hésitation. Les
espérances du boutiquier se réalisèrent, et les charmes de la
brillante grisette donnèrent bientôt la vogue à ses salons. Elle
tenait son emploi depuis un an environ, quand ses admirateurs
furent jetés dans la désolation par sa disparition soudaine de la
boutique. M. Le Blanc fut dans l’impossibilité de rendre compte de
son absence, et Madame Roget devint folle d’inquiétude et de
terreur.
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