Quant à la maison, nous ne pouvons lui en apporter une ; mais nous en brûlerons une dans le Cumberland, comme on a brûlé Heugh-Foot : c’est ce que, dans tous les pays du monde, on appelle des représailles.

La proposition venait d’être accueillie avec enthousiasme par les plus jeunes de l’assemblée, quand Hobbie arriva. – Voilà Hobbie, répéta-t-on tout bas, le voilà ce pauvre garçon : c’est lui qui nous guidera. Tous s’empressèrent autour du malheureux fermier pour lui témoigner la part qu’ils prenaient à son malheur, et il ne put exprimer à ses voisins et à ses parents combien il était sensible à l’intérêt qu’ils lui marquaient, qu’en leur serrant la main. Quand il pressa celle de Simon d’Hackburn, son anxiété trouva enfin un langage. – Et où sont-elles ? dit-il, comme s’il eût craint de nommer les objets de son inquiétude. Simon lui montra du doigt la chaumière d’Annaple, et Hobbie s’y précipita avec l’air désespéré d’un homme qui veut savoir sur-le-champ tout ce qu’il doit craindre.

Dès qu’il fut entré, des acclamations de compassion s’élevèrent de tous les côtés : – Ce pauvre Hobbie ! ce pauvre garçon ! Il va apprendre ce qu’il y a de pire pour lui ! Earnscliff ramènera peut-être la pauvre fille ! Puis le groupe, n’ayant point de chef reconnu, attendit tranquillement le retour de Hobbie, résolu à se mettre sous sa direction.

L’entrevue de Hobbie avec sa famille fut aussi triste qu’attendrissante. Ses trois sœurs se jetèrent à son cou en pleurant, et l’étouffèrent presque de caresses, afin de retarder l’instant où il s’apercevrait qu’il manquait là une personne non moins chère à son cœur.

– Que Dieu vous bénisse, mon fils ! Il peut nous secourir, lui, alors que le secours du monde n’est qu’un roseau brisé. Tels furent les premiers mots que la vieille mère adressa à son petit-fils.

Il regarda autour de lui, tenant la main de deux de ses sœurs tandis que la troisième était encore suspendue à son cou. – Laissez-moi donc voir, dit-il, que je vous compte. Voilà ma mère, Annette, Jeanne, Lily ; mais où est... (Il hésita une minute.) – Où est Grace ? continua-t-il comme en faisant un effort. Le moment est bien mal choisi pour se cacher ou pour plaisanter.

– Ô mon frère ! notre pauvre Grace ! furent les seules réponses qu’il put obtenir, jusqu’à ce que sa mère, se levant et le séparant de ses sœurs éplorées, le conduisît vers un siège, puis lui dît avec cette sérénité touchante qu’une piété sincère peut seule procurer aux plus cruelles douleurs : – Mon fils, quand votre père fut tué à la guerre et me laissa six orphelins à qui j’avais à peine de quoi donner du pain, j’eus le courage, ou, pour mieux dire, le ciel me donna le courage de prononcer : Que la volonté du Seigneur soit faite ! Eh bien, mon fils, des brigands ont mis le feu cette nuit à la ferme en cinq ou six endroits à la fois ; ils sont entrés armés, masqués ; ils ont pillé la maison, tué les bestiaux, emmené les chevaux, et, pour comble de malheur, enlevé notre pauvre Grace ! Priez le ciel qu’il vous donne la force de répéter avec moi : – Que sa volonté soit faite !

– Ma mère, ma mère, ne me pressez pas ainsi... C’est impossible... je ne suis qu’un pécheur... un pécheur endurci... Des hommes armés, masqués ! Grace enlevée !... Donnez-moi le sabre et le havresac de mon père. Je veux me venger, dussé-je aller chercher ma vengeance au fond de l’enfer.

– Oh ! mon fils, soyez soumis à la volonté de Dieu ; qui sait ce que sa bonté nous réserve ? Le jeune Earnscliff (que le ciel le protège !) s’est mis à la poursuite des brigands avec Davie de Stenhouse et quelques autres des premiers accourus. Je criais de laisser brûler la maison et de courir après Grace : Earnscliff a été le premier à partir. C’est le digne fils de son père ; c’est un loyal ami.

– Oui ! s’écria Hobbie, que le ciel le bénisse ! mais il s’agit à présent de l’imiter. Adieu, ma mère, adieu, mes sœurs !

– Adieu, mon fils ! puissiez-vous réussir dans votre recherche ! mais que je vous entende donc dire avant votre départ : – Que la volonté de Dieu soit faite !

– Pas à présent, ma mère, pas à présent, cela m’est impossible.

Il sortait de la chaumière, quand, en se retournant, il vit le visage de sa vénérable aïeule se couvrir d’une nouvelle tristesse ; aussitôt il revint à elle et se précipita dans ses bras : – Eh bien, oui, ma mère, dit-il ; oui ! que sa volonté soit faite, puisque cela vous consolera.

– Que Dieu soit donc avec vous, mon fils, et qu’il vous accorde de pouvoir dire à votre retour : – Que son saint nom soit béni !

– Adieu, ma mère, adieu, mes sœurs, s’écria Elliot ; et il partit.

 

 

Chapitre VIII

 

Aux armes ! à cheval ! ne perdons pas leur trace,

S’écria le laird en courroux.

Si quelqu’un refusait de marcher avec nous,

Qu’il ne vienne jamais me regarder en face.

Ballade des frontières.

 

– À cheval ! à cheval ! lance au poing ! s’écria Hobbie en rejoignant la troupe qui l’attendait.

Plusieurs avaient déjà le pied dans l’étrier, et, pensant qu’Elliot cherchait des armes, chose difficile à trouver dans ce désordre, le vallon retentit de l’approbation bruyante de ses amis.

– À la bonne heure, Hobbie, dit Simon d’Hackburn ; je vous reconnais. Que les femmes pleurent et gémissent, rien de mieux, mais les hommes doivent rendre aux autres ce qu’on leur a fait ; c’est la sainte Écriture qui l’a dit.

– Taisez-vous, dit un vieillard d’un air sévère ; n’abusez pas de la parole de Dieu ; vous ne connaissez pas la chose dont vous parlez.

– Avez-vous quelques nouvelles, Hobbie ? êtes-vous sur la voie ? Mes braves, ne nous pressons pas trop, dit le vieux Dick de Dingle.

– Que signifie de venir nous prêcher maintenant ? répliqua Simon à celui qui l’avait gourmandé. Si vous ne savez pas vous défendre, laissez faire ceux qui le peuvent. Puis s’adressant au vieux Dick : – Est-ce que vous croyez que nous ne connaissons pas la route d’Angleterre aussi bien que la connaissaient nos pères ! N’est-ce pas de là que nous viennent tous les maux ? C’est l’ancien proverbe, et il dit vrai : Allons en Angleterre, comme si le diable nous poussait vers le sud.

– Nous suivrons la trace des chevaux d’Earnscliff, dit un Elliot.

– Je la reconnaîtrais dans la lande la plus obscure du Border, quand on y aurait tenu foire la veille, ajouta Hugh, le maréchal ferrant de Ringleburn, car c’est toujours moi qui chausse son cheval.

– Lâchez les limiers, dit un autre ; où sont-ils ?

– Oui, oui, la terre est sèche : la piste ne ment jamais !

Hobbie siffla ses chiens, qui erraient en hurlant autour des cendres de la ferme. – Allons, Killbuck, dit-il, prouve-nous ton savoir-faire aujourd’hui. Ensuite, comme éclairé d’une lumière soudaine, il ajouta : – Mais le sorcier m’a dit quelque chose de tout ceci ; il peut fort bien savoir ce qu’il en est, soit par les coquins de ce monde, soit par les diables de l’autre : il me le dira, ou je le lui ferai avouer avec mon couteau de chasse.

Hobbie donna ses instructions à ses camarades : – Que quatre d’entre vous avec Simon courent du côté de Graemes-Gap ; si les brigands sont des Anglais, ils auront pris ce chemin. Que les autres se dispersent deux par deux ou trois par trois dans les bruyères, et qu’ils m’attendent au Trysting-Pool[47]. Qu’on dise à mes frères, quand ils arriveront, de venir nous y joindre ; pauvres garçons ! Ils seront aussi désolés que moi ; ils ne se doutent guère dans quelle maison de deuil ils apportent notre venaison. Quant à moi, je vais au galop jusqu’à Mucklestane-Moor.

– Et si j’étais que de vous, dit alors Dick de Dingle, je parlerais au bon Elshie ; il peut tout vous dire, s’il est d’humeur à répondre.

– Il me le dira, reprit Hobbie occupé à préparer ses armes, ou je saurai pourquoi.

– Oui, mon enfant ! mais parlez-lui convenablement. Ces gens-là n’aiment pas qu’on les menace.