Leurs communications avec les esprits les rendent assez susceptibles.

– Ne vous inquiétez pas. Je suis en état aujourd’hui de braver tous les sorciers du monde et tous les diables de l’enfer. Et, sautant en selle, Hobbie partit au grand trot.

Bientôt, malgré l’impatience dont il était tourmenté, ne sachant pas le chemin que son cheval aurait à faire dans la journée, il n’osa plus presser sa marche ; il eut donc le temps de réfléchir sur la manière dont il devait parler au Nain, afin de tirer de lui tout ce qu’il pouvait savoir relativement aux malheurs qui lui étaient arrivés. Quoique vif et franc, comme la plupart de ses compatriotes, il ne manquait pas de cette adresse qui est aussi un de leurs traits caractéristiques. D’après la conduite de cet être mystérieux, le soir où il l’avait vu pour la première fois, et d’après tout ce qu’il en avait remarqué depuis lors, il prévit que les menaces et la violence n’obtiendraient rien de lui.

– Je lui parlerai avec douceur, comme le vieux Dickon me l’a conseillé, pensa-t-il. On a beau dire qu’il est ligué avec Satan, il faudrait qu’il fût pire qu’un diable incarné pour ne pas avoir pitié de ma position. D’ailleurs, il a plus d’une fois rendu service au pauvre monde. J’aurai donc soin de me modérer, je tâcherai de toucher son cœur, et si je n’en tire rien par la douceur, je serai toujours à temps de lui tordre le cou.

C’est dans ces dispositions que Hobbie s’approcha de la chaumière du solitaire. Elshie n’était pas sur son siège d’audience, et il ne put le découvrir dans son jardin ni dans son enclos. – Il est enfermé dans le fond de son donjon, dit-il ; il n’en voudra peut-être pas sortir ; mais tâchons de le toucher par les oreilles d’abord, avant de m’y prendre autrement.

Élevant la voix, et du ton le plus suppliant qu’il lui fut possible de prendre : – Mon bon ami Elshie ! cria-t-il... Point de réponse... – Bon père Elshie !... Même silence. – Que le diable emporte ta chienne de carcasse ! dit-il entre ses dents... Mon bon Elshie, n’accorderez-vous pas un mot d’avis au plus malheureux des hommes ?

– Malheureux ? dit le Nain. Tant mieux !

Ces mots se firent entendre à travers une petite lucarne pratiquée au-dessus de la porte, et par laquelle le solitaire avait la facilité de voir ce qui se passait hors de sa maison, sans être lui-même aperçu.

– Tant mieux, Elshie ! et pourquoi tant mieux ? N’avez-vous pas entendu que je vous ai dit que j’étais le plus malheureux des hommes ?

– Croyez-vous m’apprendre une nouvelle ? avez-vous oublié ce que je vous ai dit ce matin ?

– Non, Elshie ; et c’est parce que je m’en souviens que je reviens vous voir. Celui qui a si bien connu le mal doit être capable d’indiquer le remède.

– Il n’y a point de remède aux maux de ce monde. Si j’en connaissais un, je commencerais par l’employer pour moi-même... N’ai-je pas perdu une fortune qui aurait suffi pour acheter cent fois toutes tes montagnes ? un rang auprès duquel ta condition n’est que celle du dernier paysan ? une société où je trouvais tout ce qu’il y a d’aimable et d’intéressant ?... N’ai-je pas perdu tout cela ? Je vis ici comme le rebut de la nature, dans la plus affreuse des retraites, et plus affreux moi-même que les objets horribles qui m’environnent ! et pourquoi d’autres vermisseaux se plaindraient-ils d’être foulés aux pieds de la destinée, quand moi-même je me trouve écrasé sous la roue de son char ?

– Vous pouvez avoir tout perdu, terres, amis, richesses ; mais vous n’avez jamais éprouvé un chagrin comme le mien ; jamais vous n’avez perdu Grace Armstrong. Et maintenant, adieu toutes mes espérances, je ne la verrai plus.

Ces paroles furent prononcées avec la plus vive émotion ; puis, comme si elles avaient épuisé ses forces, Hobbie garda le silence. Avant qu’il eût pu reprendre assez de résolution pour adresser au Nain de nouvelles prières, le bras nerveux de celui-ci se montra à la lucarne, un gros sac de cuir à la main.

– Tiens, voilà le baume qui guérit tous les maux des hommes, dit Elshie en le laissant tomber. Du moins, c’est ainsi qu’ils le pensent, les misérables ! va-t’en. Te voilà deux fois plus riche que tu ne l’étais hier. Ne m’adresse plus ni questions ni plaintes. elles me sont aussi odieuses que les remerciements.

– C’est de l’or, en vérité ! dit Hobbie en faisant sonner le sac. Elshie, je vous remercie de votre bonté, mais je voudrais vous donner une reconnaissance de cet argent, une sûreté sur nos terres. Cependant, pour vous parler librement, je ne me soucierais pas de m’en servir avant de savoir d’où il vient. Je ne voudrais pas, quand j’en donnerai à quelqu’un, qu’il vînt à se changer en ardoises.

– Sot ignorant ! s’écria le Nain, jamais poison plus véritable n’est sorti des entrailles de la terre. Prends-le, fais-en usage, et puisse-t-il te profiter aussi bien qu’à moi !

– Mais je vous dis que ce n’est pas tant l’argent qui me touche.