Il poursuivit :

— Ne perds pas confiance en moi ! dis-moi que toujours tu croiras en moi. Je prends le Ciel à témoin que jamais je ne te serai déloyal.

C’était la première fois qu’il employait le « tu » intime. Il dut s’arrêter. Les larmes noyaient ses yeux. Elle le regarda tristement, laissant couler les pleurs sur ses joues. Et ainsi, côte à côte, isolés du monde dans cette embrasure, ils se regardèrent. Aucune parole ne fut prononcée mais une paix infinie descendit en eux, et dans leur suprême tendresse ils goûtèrent le paradis.

Avec un profond soupir de soulagement, il dit tout bas :

— Sais-tu pourquoi j’ai demandé que notre mariage fût remis ?

Elle secoua la tête. Elle ne désirait pas le savoir.

— Je t’expliquerai tout quand nous serons unis, murmura-t-il. Cette allusion à leur mariage amena une rougeur légère au visage de la jeune fille. Jamais elle n’avait imaginé une sérénité si complète et tant de confiance implicite.

— Remontez tout de suite chez mon père, dit-elle, il est très fâché.

Et il remonta le cœur léger, prêt à affronter tout ce que le monde trouverait bon de lui infliger.

CHAPITRE XV

Inquiet, Annada Babou leva la tête lorsque Ramesh entra. Le jeune homme lui dit seulement :

— Si vous voulez bien me donner la liste de vos invités, je leur écrirai dès aujourd’hui, pour ce changement de date.

— Vous êtes toujours décidé à renvoyer la cérémonie ?

— Oui, il m’est impossible d’agir autrement.

— Eh bien, écoutez-moi mon bonhomme ; je me lave les mains de tout cela. Faites vos arrangements vous-même ; je n’ai pas envie qu’on se moque de moi. Si vous croyez devoir faire du mariage un jeu d’enfant, alors un homme de mon âge n’a plus rien à y voir. Voilà votre liste. J’ai déjà dépensé pas mal d’argent, et ne vais pas continuer à le jeter par la fenêtre…

Ramesh l’assura qu’il était tout prêt à assumer les dépenses et toutes les responsabilités.

Il se disposait à partir, lorsque le vieillard reprit :

— Avez-vous décidé où vous vous établiriez quand vous serez marié ?

— Non ; je voudrais trouver une bonne clientèle d’avocat, dans un endroit plus au nord.

— C’est une excellente idée. Etawah, par exemple, nous conviendrait. Le climat y est bon. J’y ai passé un mois il y a quelques années, et j’y mangeais fort bien. Vous comprenez, elle est mon unique fille, et nous ne pouvons nous séparer. C’est pourquoi il vous faut choisir un climat sain.

Ramesh avait vexé Annada Babou. Celui-ci en profitait pour avancer ses prétentions, quelque peu exorbitantes. Dans son présent état d’esprit, Ramesh n’était que trop disposé à en passer par où il voudrait, et on lui aurait demandé d’émigrer à Cherra Pounji ou aux monts Garo et dans ses brumes qu’il eût obtempéré aussi docilement.

— Très bien, fit-il, je vais sans délai me faire inscrire au barreau d’Etawah.

Il n’avait pas tourné les talons qu’Akshay s’amenait à son tour. Il apprit, de la bouche d’Annada Babou, le délai apporté au mariage.

— Cela n’est pas possible ! s’exclama-t-il, le mariage devait avoir lieu après-demain ?

— Il prétend ne pouvoir être prêt. Autrefois, on n’aurait pas agi ainsi, mais avec vous autres jeunes gens, qui voulez faire les modernes…

La mine d’Akshay se fit grave. Son esprit travaillait activement. À la fin, il murmura :

— Parce que vous avez trouvé un époux qui vous paraît convenir à Hemnalini, il vous plaît de fermer les yeux. Vous devriez cependant réunir toutes les garanties possibles concernant celui auquel vous allez confier votre enfant pour la vie ? Si même il était un ange, vous devriez encore vous en assurer, et pour cela prendre des renseignements.

— S’il fallait soupçonner un garçon comme Ramesh, c’est qu’on ne pourrait avoir confiance en personne.

— A-t-il donné quelque raison valable de son étrange conduite ?

— Non, il n’en a pas donné, fit Annada Babou qui se frottait la tête, il a seulement prétexté quelque chose d’urgent.

Akshay eut un sourire affecté :

— Sans doute s’est-il expliqué à votre fille ?

— Je le suppose.

— Ne vaudrait-il pas mieux en être sûr, et appeler Hemnalini pour le lui demander ?

— J’en conviens, acquiesça Annada Babou, qui appela la jeune fille. Quand elle entra et vit Akshay, elle se tint derrière son père, de façon que le jeune homme ne put la regarder. Annada Babou interrogea :

— Ramesh t’a-t-il donné la raison du délai apporté à votre mariage ?

Pour toute réponse elle secoua négativement la tête.

— Mais ne le lui as-tu pas demandé ?

— Je n’ai rien demandé du tout.

— Voilà qui est extraordinaire ! et vous êtes bien assortis, tous les deux… Il entre et déclare : « Je n’ai pas le temps de me marier après-demain », et tu réponds : « fort bien, nous nous marierons un autre jour, » et puis vous enterrez le sujet !

Akshay prenait maintenant la défense d’Hemnalini :

— Après tout, si quelqu’un refuse de vous donner ses raisons, il est difficile de les exiger. Et sans doute Ramesh ne peut-il pas les donner, sans quoi il l’aurait fait sans qu’on le lui demandât.

Hemnalini rougit de colère ; elle déclara qu’elle ne voulait pas entendre des tiers donner leur opinion là-dessus, et sortit vivement.