Êtes-vous femme, oui ou non ?

MARTHE : Non. - Quelles choses ?

PIERRE : Il ne sait pas vous dire, comme moi, que vous une femme d'un goût exquis et que vous vous habillez... comme une fleur  !

MARTHE : Berthe aussi s'habille très bien.

PIERRE : Elle ne porte que du classique. Il ne se rappelle pas, comme moi, votre mari, certain chapeau de l'année dernière, tout chargé de cerises rouges. Il fallait être vous, pour porter, avec une témérité de vieux révolutionnaire, un chapeau de cette crânerie. Il éclatait sur le boulevard. Il affolait les yeux. On ne voyait que vos cerises. Il devait donner l'envie aux gamins d'y grimper et de ne pas vous en laisser une. Et il vous allait ! Il vous allait  !

MARTHE : Il m'allait bien, n'est-ce pas ?

PIERRE : Il vous allait comme le beau temps à la nature.

MARTHE : C'est gentil, ça.

PIERRE : Tiens, parbleu  ! je vous crois. Et ces gentillesses-là, est-ce votre mari qui vous les dirait ?

MARTHE : Il m'en a dit.

PIERRE : Il ne vous en dit plus.

MARTHE : Quelques -unes.

PIERRE : Pas souvent.

MARTHE : Quelquefois.

PIERRE : Il vous en dira de moins en moins, je vous l'affirme. Et je le trouve excusable. C'est fatigant à la longue. Il a perdu l'habitude. Je parie qu'il ne vous dit pas que vous êtes intelligente ?

MARTHE : Oh ! ça !

PIERRE : Je ne veux pas dire que vous ne faites que rouler dans votre tête des pensées de Pascal. Mais vous avez l'intelligence du geste, du sourire, de la réplique ! À chaque trait qui vous frappe, vous étincelez.

MARTHE : Je place mon mot, comme une autre, à l'occasion. C'est moins un mot d'esprit qu'un mot du cœur.

PIERRE : Cet air modeste  ! Mais vous êtes une Parisienne exceptionnelle et rayonnante, qui sait tout, qui lit tout, qui peut tout dire et tout juger. Car c'est incroyable : vous auriez le droit d'être frivole, évaporée, aérienne, et vous avez du bon sens, du gros bon sens.

MARTHE : J'ai mes petites idées et j'y tiens.

PIERRE : C'est énorme. Plus intelligente, vous le seriez trop. Vous ne laisseriez rien aux messieurs qui vous détesteraient. Voilà ce que votre mari ne vous dit jamais. Il ne vous dit même plus que vous êtes jolie. (Marthe, déjà rêveuse, ne répond pas.) Je m'en doutais. Et pourtant il le sait; d'ailleurs tout le monde le sait : vous êtes unanimement jolie.

MARTHE : Mais il est de plus en plus gentil. Qu'est-ce qu'il a donc ce soir ?

PIERRE : Je ne vous accable pas d'injures, hein ! Essayez de vous fâcher.

MARTHE : Je ne peux pas.

PIERRE : Mettez-vous en colère parce que je vous dis que, lorsque vous montez les Champs-Elysées, il y a, de chaque côté de l'avenue, un mouvement de curiosité, un vif remue-ménage de chaises. Tout s'incline sur votre sillage, votre cocher se dresse avec plus de style, et parmi les voitures qui semblent s'arrêter la vôtre roule comme un char vers l'Arc de Triomphe  !

MARTHE (elle rit) : Ca, c'est drôle.

PIERRE : Oh ! ce rire musical ! cette alouette qui part de votre bouche ! Et le soir, au théâtre, si quelqu'un murmure : "La jolie Femme ! "je n'ai pas besoin de chercher des yeux. Je devine que vous êtes dans la salle. Aussitôt, je sens que je vais passer une bonne soirée. La pièce que j'écoute moins me paraît meilleure et le lustre éclaire double !

MARTHE : Et vous dites que c'est fatigant ?

PIERRE : Et je suis à peine en train. Vous n'imaginez pas le nombre de fois que je pourrais vous répéter que vous êtes non une jolie femme.