Ils trouvaient ça très
bizarre. Pour eux, il y a anguille sous roche.
— Ça leur fera un sujet de discussion pour les longues soirées.
— Sans aucun doute. Et ils vous persuaderont de vous battre
tous les deux.
— Ne dis pas ça, intervint Lucy avec une certaine brusquerie.
Ils avaient atteint la maison des Overmire. Camrose se tourna
vers Lucy pour lui souhaiter bonne nuit. Stuart s’écarta et s’occupa
en cherchant sa pipe, puis en accomplissant les gestes rituels pour
la bourrer. Il n’avait aucune envie d’être le témoin de leur intimité ; c’était leur histoire, dans laquelle il n’y avait aucune place
pour lui. Malgré cela, son agacement se raviva quand il entendit
Camrose dire à Lucy si calmement :
— À demain. Tu m’as manqué.
— C’est gentil, George, répondit-elle et, une fois de plus,
Stuart perçut cet équilibre un peu formel entre eux.
Comme un cérémonial qu’ils auraient appris. Détachant les
yeux de sa pipe, il vit George se pencher vers Lucy pour la saluer
d’un bref baiser. Il souriait et sa remarque était empreinte d’un
soupçon de malveillance :
— Logan désapprouve. Je le vois bien.
Logan répondit d’un ton sec :
— Les baisers se font dans l’intimité, George. Et mieux que ça.
— Je te repose la question dans ce cas : es-tu capable de faire
mieux ?
Stuart ôta sa pipe de sa bouche. Une impulsion s’empara de lui
et le poussa à l’imprudence, mais il sourit à Camrose et à Lucy.
— George, murmura-t-il, tu commets une erreur.
Il attendait que Lucy mette fin à cette absurdité, qu’elle règle
la question par une réprimande qui les enverrait sur les roses tous
les deux. Il l’observait, dans cette attente, puis il comprit que ça
ne viendrait pas. Elle n’avait pas bougé. Elle le regardait, visage
dressé, lèvres immobiles. Sa poitrine se soulevait et retombait rapidement, le clair de lune blanchissait sa gorge, alors il s’approcha
d’un pas vif et l’attira contre lui d’un geste brusque. Là encore, il
attendit qu’elle proteste et fut stupéfait par son silence. Il baissa
la tête et l’embrassa. À cet instant, il méprisait George Camrose.
La bouche de Lucy résista à la sienne, mais sa résistance fondit
devant ce traitement brutal et un vent chaud tourbillonna en lui ;
il sentit le contact léger des mains de Lucy qui s’accrochaient à ses
épaules. Elle maintint son équilibre, sans s’écarter de lui.
La voix indolente de George Camrose leur parvint de loin :
— Tu vois, Lucy. Brutal et maladroit dans tous les domaines.
Cet homme n’a aucun savoir-faire.
Stuart recula. Il tenait toujours sa pipe dans la main et l’avait
appuyée contre Lucy, il craignait maintenant de lui avoir fait
mal. Elle le regardait fixement, sans rien dire. Soudain, George
Camrose redescendit la colline, suivi par l’écho de son rire comme
s’il avait assisté à une excellente plaisanterie. Il riait encore quand
il atteignit la grand-rue et tourna vers l’est.
— Logan, murmura Lucy, je crois que je ne t’aime pas.
— Je ne peux pas t’en vouloir. Bonne nuit.
Elle le retint par la main. Il transpirait et eut honte qu’elle sente
la moiteur de sa paume.
— Attends, dit-elle. Je ne t’aime pas quand je t’imagine en
train d’embrasser des femmes comme tu m’as embrassée. Sais-tu ce que tu leur fais croire ? Sais-tu ce qu’elles attendent de toi
ensuite ?
— La vérité, répondit-il, c’est que George et toi, vous vous
trompez tous les deux.
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