Je n’ai pas eu de liaisons avec d’autres femmes.

Lucy parut choquée par cette révélation. Elle le regarda intensément dans l’obscurité et posa la main sur son bras. La pression de ses doigts lui mordit la peau à travers son manteau.

— Logan, chuchota-t-elle. Oh, Logan.

Elle se retourna vivement et disparut dans la maison.

 

Camrose traversa d’un pas vif l’obscurité de la rue, tachée par les lumières des lampes, impatient de glisser ses jambes sous la table de poker de Jack Lestrade. La scène entre Stuart et Lucy lui était déjà sortie de la tête, comme une chose qui, amusante un instant, n’avait en fait aucune importance. Il salua d’un hochement de tête nonchalant Overmire et Joe Harms assis devant la grange de Howison et s’arrêta brièvement devant le bureau de la Bolden & Wilson Express Company, dont il était le responsable local, pour vérifier que la porte était bien verrouillée et tester la résistance des solides volets de bois qui masquaient les fenêtres. À peine s’était-il éloigné qu’un orpailleur sortant du bar de Blacker, de l’autre côté de la rue poussiéreuse, le vit et vint rapidement vers lui.

— Je te cherchais, dit l’orpailleur. Ça t’ennuie pas d’ouvrir le coffre pour que je récupère l’or que j’ai déposé chez toi ?

Il s’agissait de Johnny Steele, qui avait prospecté le long de l’Applegate et laissé un sac bien rempli dans le coffre du bureau de messagerie exprès, en annonçant qu’il partait pour deux ou trois mois. Camrose pensa : “Qu’est-ce qui l’a poussé à revenir si vite, nom d’un chien ?” Et il fit défiler dans son esprit toutes les explications possibles. Voyant son hésitation, Steele prit un air contrit.

— Je sais que je t’embête à cette heure-ci. Mais j’ai une partie de poker ce soir.

Camrose s’efforça de paraître aimable.

— Ce n’est rien, dit-il et il ressortit ses clés. En entrant dans le bureau obscur, il alluma une lampe et se retourna vers Steele.

— Je vais te demander de rester à l’extérieur pendant que j’ouvre le coffre. C’est le règlement.

— OK, OK, dit Steele en ressortant à reculons.

Camrose ferma la porte à clé et contourna le bureau pour accéder au gros coffre-fort orné d’aigles dorés. Il s’accroupit et tourna rapidement la molette, le visage un peu crispé. Quand il eut ouvert la porte, il jeta un regard inquiet en direction des volets pour s’assurer qu’ils le protégeaient des regards des curieux, et il fouilla parmi le tas de sacs en peau de daim, munis chacun d’une étiquette portant le nom de son propriétaire et la quantité de poussière d’or qu’il contenait. Il trouva celui de Steele.

— Huit onces, murmura-t-il.

Il regarda de nouveau à l’intérieur du coffre, l’esprit rendu extraordinairement vif par un vague sentiment de désespoir. Il pensa : “Jackson, non. Bellemyer, Stroud, McIver.” McIver peut-être. Celui-ci était à Kerbytown et sans doute ne reviendrait-il pas avant un mois. Camrose sortit le sac de McIver, l’ouvrit et prit soin de verser uniquement la fine poussière d’or sur le plateau de la balance. Après cela, il transféra cet or dans le sac de Steele jusqu’à obtenir le bon poids, à deux onces près, à la suite de quoi il prit une petite enveloppe contenant des pépites aux formes particulières qu’il avait prélevées dans le sac de Steele afin de les conserver. Il les remit en haut du sac, le pesa de nouveau et ajouta une petite quantité de poudre d’or pour obtenir le poids exact indiqué sur l’étiquette, et il refit un nœud avec la ficelle.

Ayant remis le sac de McIver dans le coffre, il alla ouvrir la porte à Steele.

— Voilà, dit-il en montrant le sac toujours posé sur la balance.

L’orpailleur jeta un rapide regard à la balance et à l’étiquette.

— Pardon pour le dérangement, dit-il et il défit la ficelle pour vérifier que les pépites étaient bien sur le dessus. Il en prit une entre le pouce et l’index.

— Tu vois ça ? Je me souviens encore quand je l’ai trouvée. Incroyable. Elle était à l’intérieur d’un vieux crâne d’Indien. Merci beaucoup. Je te dois quelque chose ?

— Non, dit Camrose. Ravi de pouvoir rendre service.

Il regarda Steele ranger la pépite. La tête penchée au-dessus du sac, l’homme semblait songeur et une légère expression de perplexité apparut sur son visage. Finalement, il referma le sac et ressortit.

Camrose referma et verrouilla le coffre puis demeura un instant accoudé au comptoir, le rouge aux joues, préoccupé. Il se demanda : “Qu’a-t-il vu qui l’a tracassé ? Quelle erreur ai-je commise ?”

Une peur diffuse et lointaine monta lentement en lui.