Est-ce qu’un homme devrait pas avoir quelques souvenirs après une bringue de mille dollars ?
— Tu as attiré les ours comme un pot de miel, répondit Stuart.
Je suis un peu étonné. Tu connais ces bars, Johnny.
— Oui, évidemment. Mais quand un homme trime pendant
un an et qu’un beau jour il se demande pourquoi il travaille, sans
trouver de réponse, y a de quoi le perturber. Alors, j’ai décidé de
me détendre, en me disant que je découvrirais peut-être pourquoi je travaille.
— Et tu as trouvé ?
— Oui, dit Johnny. J’ai trouvé. Et je le regrette. Maintenant,
je vais racheter la concession de Billy Clayford sur la rivière. Il
me faudrait un petit apport, Logan. Cinq cents dollars. Je pourrai te rembourser à coup d’une once par jour.
— Henry, dit Stuart, inscris Johnny Steele pour cinq cents.
— Ah, fit Clenchfield en réussissant à mettre tout son dégoût
dans cette seule syllabe.
Il quitta le magasin.
— C’est un Écossais que tu as là, commenta Steele. Merci,
Logan.
Il plongea les mains dans ses poches de pantalon et en exhuma
une petite pépite.
— Oh, fit-il, un peu surpris, je suis pas totalement fauché.
Il regarda fixement la pépite, qui sembla lui remettre en
mémoire les événements de la nuit, et peu à peu ses paupières
tombèrent devant ses yeux, jusqu’à les couvrir à moitié.
— Logan, combien de temps il faut pour ouvrir un coffre ?
— Trente secondes… Le mien, en tout cas.
— Dix minutes, ça ferait long, non ? commenta Steele et il
s’en alla.
Après son départ, Stuart sortit sa pipe, la bourra d’un air
songeur et l’alluma. “Quel coffre ? se demanda-t-il. Celui de
Camrose ?” Il secoua lentement la tête. Il se leva, contourna le
comptoir pour regagner ses quartiers et prendre ses sacoches de
selle et son fusil. En retournant dans la grande salle, il découvrit
que Clenchfield était revenu.
— Cinq cents dollars, dit celui-ci. Sans intérêts. Si tu veux
vraiment prêter de l’argent, que ça te rapporte au moins.
— Henry, on gagne de l’argent, non ?
— La question n’est pas là. Tu n’as aucun sens pratique.
— Toujours laisser l’autre gagner un peu d’argent, lui aussi.
Ne jamais essayer de tout garder pour soi. Je serai de retour dans
dix jours.
Il partit de bonne humeur ; la journée était belle et la perspective de partir à cheval le réjouissait. Vane Blazier et Zack Murrow
étaient en train de faire traverser la ville aux bêtes de somme : la
mule munie d’une clochette avançait sagement en tête de la procession. Il se dirigea vers sa grange et sella le hongre roux. Alors
qu’il s’apprêtait à le sortir, Neil Howison entra et jeta des regards
méfiants autour de lui. De toute évidence, il avait besoin de discrétion. En outre, il semblait incroyablement abattu.
— Logan, dit-il. Bill Brown a été attaqué la nuit dernière, près
de la Mountain House.
— Combien tu as perdu ?
— Il transportait pour deux mille cinq cents dollars de poussière d’or.
— Tu veux de l’aide, Neil ?
— Non, je peux assumer cette perte. Mais écoute-moi bien.
Soit les bandits de grand chemin guettent tous ceux qui passent,
simplement, ou bien ils savaient ce que transportait Bill et ils l’attendaient exprès.
— Comment pouvaient-ils savoir ? Tu l’as dit à quelqu’un ?
— Je n’en ai parlé que dans un seul endroit : hier soir, pendant la
partie de poker. Il n’y avait que quatre personnes. Balance, Lestrade
et sa femme, et Camrose. Si je ne peux pas leur faire confiance…
Une lumière terne baignait la grange et Stuart avait appuyé
sa tête contre le hongre pour resserrer une dernière fois la sangle
de la selle. Sa tâche achevée, il se retourna et se retrouva face au
regard pénétrant de Howison.
1 comment