Elle portait une jolie
robe marron et ses cheveux noirs formaient une tresse douce et
brillante à l’arrière de son crâne. Ses vêtements dissimulaient une
femme mûre aux formes épanouies.
— On va dîner ? demanda-t-elle.
Elle se dirigea vers la coiffeuse pour se mirer brièvement, puis
elle prit un châle au passage et descendit l’escalier avec Stuart pour
pénétrer dans la salle à manger. Les conversations produisaient un
vrai boucan. À la table des célibataires, au centre, Logan Stuart
aperçut Henry McLane, le visage rose et empreint de la dignité
que lui conféraient ses voyages d’affaires jusqu’au bar.
Elle s’assit en face de Stuart, agréablement calme. Elle avait
conscience de son environnement, et son regard exprimait parfois de la curiosité, une pensée vagabonde agitait son visage. Puis
il s’aperçut qu’elle avait fixé son attention sur lui, avec ce même
intérêt intense et bien protégé. Par moments, la chaleur se répandait entre eux, forte et troublante, et sa propre expression s’aiguisait ; le repos nu de son visage se brisait alors, cédant la place
à une agitation souriante. C’était dans ces moments-là également
qu’elle l’observait avec le plus d’insistance, essayant de lire en lui.
— Comment s’est passée ta visite ? demanda-t-il. C’était comment The Dalles ?
— Calme. Mais tu sais, Logan, là-bas, il y a beaucoup de
bêtes et de chevaux qui ont été abandonnés par les émigrants en
descendant le fleuve. Il serait possible de les avoir pour presque
rien. Peut-être serait-il intéressant de les acheter et de les conduire
dans le sud de l’État.
— Tu as vu des mules ?
Elle demeura immobile, essayant de se souvenir, et l’espace
d’un instant il perçut dans cette immobilité une qualité qui le
transperça.
— Non, dit-elle.
Mais elle observa son changement d’expression et elle se remit
sur la défensive. Après un repas silencieux, ils remontèrent. Il l’accompagna jusqu’à sa chambre et s’arrêta devant la porte.
— Cinq heures, dit-il. Et habille-toi chaudement. On atteindra
Salem le premier jour et la source de la Long Tom le deuxième.
On devrait arriver à Jacksonville vendredi après-midi. C’est un
rythme trop rapide pour toi ?
— Non. Je suppose que tu vas redescendre pour jouer au
poker.
— Je ne crois pas. Bonne nuit.
Le “Bonne nuit” qu’elle lui adressa en retour l’accompagna. Il
passa devant sa chambre et s’arrêta en haut de l’escalier pour regarder derrière lui. Elle se tenait toujours sur le seuil de sa chambre,
la lampe du couloir soulignait les contours de son visage.
— Une femme, Logan ?
Il rit et vit une bouffée de colère soudaine s’emparer d’elle. Elle
se retourna et ferma sa porte. Sa suspicion l’avait amusé, mais
maintenant, alors qu’il descendait l’escalier, l’opinion qu’elle avait
de lui ne l’amusait plus. Il était agité, énervé, et il songea : “George
a dû me présenter comme un sacré personnage. Il faudra que je
lui parle.” Entendant la pluie cogner contre les murs de l’hôtel, il
remonta dans sa chambre pour chercher son manteau et son chapeau. Sur ce, il suivit le boyau sombre de Front Street et traversa
pour se rendre au bureau de messagerie exprès. Van Houten avait
retardé l’heure de fermeture spécialement pour lui ; il alla chercher les sacoches de selle dans le gros coffre-fort de la compagnie.
— Vous êtes sûr de vouloir garder tout ça dans votre chambre
d’hôtel ?
— Ne vous inquiétez pas, répondit Stuart, et il balança les sacs
sur son épaule. Il attendit que van Houten ait éteint les lampes et
couvert le poêle en fonte. Après quoi, le jeune homme sortit un
pistolet de dragon de derrière le comptoir et verrouilla la porte
du bureau. Il prononça quelques mots qui furent emportés par
les bourrasques et vint se placer entre Stuart et les murs des maisons pour regagner l’American Exchange.
1 comment