Stuart s’assit au bord de la route poussiéreuse, se renversa en arrière et alluma sa pipe. Il entendit approcher le tintement de la cloche de la mule de tête. Le crépuscule commençait à descendre de la montagne quand le convoi de mules qui venait de la colonie de Scottsburg pour se rendre aux placers arriva et s’arrêta pour camper. Les bêtes étaient chargées de sucre, de café et de sel. Un feu de camp naquit dans l’obscurité au moment où Anslem appelait Stuart pour le dîner.

La maison rudimentaire se composait d’une pièce unique, meublée d’un lit, d’une table et d’une cheminée. Lucy était allongée sur le lit, elle se réveillait de son court sommeil. Son regard était fixé sur le plafond, juste au-dessus d’elle, et la lumière jaune de la lampe dansait dans ses yeux. Stuart s’arrêta près du lit et l’observa, tête baissée. Elle lui tendit la main, il la prit pour l’aider à se remettre debout d’un large geste, et soudain elle lui rit au nez et lui tourna vivement le dos pour se diriger vers la table. Mme Anslem leur adressa à tous les deux un petit coup d’œil chaleureux et espiègle, avant de servir le dîner : venaison, haricots et biscuits. Des cavaliers jaillirent du canyon au galop et une voix sèche lança un ordre. Anslem se leva pour aller à la porte.

— Le dîner est prêt, lieutenant.

Celui-ci, quand il entra, était sali par une dure journée passée à cheval. Une barbe épaisse couvrait son visage juvénile et ses yeux pétillaient.

— Salut, Logan. Mademoiselle Overmire, comment allez-vous ?

Il s’assit à sa place et se mit à manger sans cérémonie.

— Alors, qu’avez-vous vu dans le canyon ?

— Un grand nombre de traces dans les prairies de la Cow Creek.

— Je vais seller tes chevaux, Logan, annonça Anslem et il sortit de la maison.

— Vous partez maintenant ? demanda le lieutenant. Limpy et ses jeunes gars sont quelque part, mais je ne sais pas où. Peut-être que nous aurons une année tranquille.

Mme Anslem, postée devant la crémaillère de la cheminée pour surveiller la cafetière, se tourna vers le lieutenant.

— Il n’y a jamais d’année tranquille.

Anslem avait amené les deux chevaux devant la maison. Stuart se leva en même temps que Lucy, et alors qu’ils se dirigeaient vers la porte, Mme Anslem murmura :

— Saluez les Dance de ma part et dites-leur que j’ai envie de parler avec quelqu’un.

L’obscurité était une cape jetée négligemment sur les montagnes et les prairies, les aboiements des chiens d’Anslem réveillaient des échos lointains dans les collines sillonnées de crêtes. Le sourire de Lucy se posa sur Stuart quand il lui prit la main pour l’aider à monter à cheval. Il ajusta ses sacoches, fit glisser plusieurs fois son fusil à l’intérieur de son étui de selle et caressa la crosse de son revolver. Ayant salué Anslem, il s’éloigna avec Lucy à côté de lui. L’haleine du canyon était humide et froide. La piste montait et la poussière molle absorbait le bruit des pas des chevaux. Un ruisseau fougueux longeait la piste et affrontait musicalement les pierres de son lit. Un prédateur nocturne passa devant eux à toute allure et s’enfonça dans les bois. Le ciel était une allée bleu acier bordée par les ombres déchiquetées des arbres. Après une heure de route, ils firent une halte pour se reposer, sans bouger. Puis ils repartirent. Un quartier de lune montante peignait de ternes taches argentées sur les parois du canyon, scintillait à la surface de la rivière et se reflétait faiblement sur les troncs décolorés des sapins brûlés. L’heure suivante les conduisit à l’orée du canyon et les déposa dans une prairie qui s’étendait tel un lac sombre à moitié dissimulé entre les rives massives des montagnes environnantes. La brise avait forci. Alors qu’ils faisaient une halte, Stuart tendit l’oreille pour guetter ce que le vent pouvait apporter. Il était aux aguets, mais lorsqu’il se tourna vers Lucy, il souriait.