Étaient-ce donc des compatriotes, ou des Chiliens, des Péruviens, des Boliviens, des Mexicains, qui tous parlent l’espagnol, ou encore des Brésiliens ?

Enfin, vers dix heures, les lumières s’éteignirent, et aucun bruit ne troubla plus le silence de la nuit.

Cependant, Vasquez ne pouvait demeurer à cette place. Le jour venu, il y serait découvert. Aucune pitié n’étant à espérer de ces bandits, il lui fallait se mettre hors de leurs atteintes.

De quel côté dirigerait-il ses pas ?… Vers l’intérieur de l’île, où il serait relativement plus en sûreté ? Gagnerait-il au contraire l’entrée de la baie, dans l’espoir d’être recueilli par quelque bâtiment passant en vue de la terre ? Mais, soit à l’intérieur, soit sur le littoral, comment assurer son existence jusqu’au jour où viendrait la relève ? Ses provisions s’épuiseraient vite. Avant quarante-huit heures il n’en resterait plus rien. Comment les renouveler ? Il ne possédait pas même un engin de pêche ! Et se procurer du feu, par quel moyen ? En serait-il réduit à vivre de mollusques ou de coquillages ?

Son énergie finit par l’emporter. Il fallait prendre un parti, et il le prit. Ce fut de gagner le littoral du cap San Juan pour y passer la nuit. Lorsqu’il ferait jour, il aviserait.

Vasquez quitta donc la place d’où il observait la goélette. Il ne s’en dégageait plus ni un bruit ni une lueur. Ces malfaiteurs se savaient en sûreté dans cette crique, et personne ne devait être de garde à bord.

Vasquez suivit alors la rive nord en longeant le pied des falaises. Il n’entendait que le clapotis de la marée descendante, et parfois le cri d’un oiseau attardé qui revenait à son nid.

Il était onze heures, lorsque Vasquez s’arrêta à l’extrémité du cap. Là, sur la grève, il ne trouva d’autre abri qu’une étroite anfractuosité, où il resta jusqu’au lever du jour.

Avant que le soleil eût illuminé l’horizon, Vasquez descendit au bord de la mer et regarda si personne ne venait ni du côté du phare, ni du tournant de la falaise, à l’amorce du cap San Juan.

Tout le littoral était désert, sur les deux rives de la baie. Pas une embarcation ne se montrait, bien que, maintenant, l’équipage de la goélette en eût deux à sa disposition, le canot de la Maule et la chaloupe affectée au service des gardiens.

Aucun bâtiment n’apparaissait au large de l’île.

Il vint à la pensée de Vasquez combien serait désormais dangereuse la navigation aux approches de l’Île des États, puisque le phare ne fonctionnait plus. En effet, les navires arrivant du large ne seraient plus fixés sur leur position. Dans l’espérance d’avoir connaissance du feu établi au fond de la baie d’Elgor, ils feraient route à l’ouest avec confiance, et risqueraient de se jeter sur cette côte redoutable, comprise entre le cap San Juan et la pointe Several.

« Ils l’ont éteint, ces misérables, s’écriait Vasquez, et puisque leur intérêt est de ne pas le rallumer, ils ne le rallumeront pas ! »

C’était, en effet, une circonstance très grave, que cette extinction du phare, et de nature à provoquer des sinistres dont ces malfaiteurs pourraient encore tirer profit pendant leur relâche. Ils n’auraient plus besoin comme autrefois d’attirer les navires par des feux, puisque ceux-ci viendraient sans défiance pour relever le phare.

Vasquez, assis sur un quartier de roche, réfléchissait à tout ce qui s’était passé la veille. Il regardait si le courant n’entraînait pas les corps de ses infortunés camarades… Non, le jusant avait déjà fait son œuvre, et ils étaient engloutis dans les profondeurs de la mer !

La situation lui apparaissait dans toute son effrayante réalité. Que pouvait-il faire ? rien… rien, sinon d’attendre le retour du Santa-Fé. Mais il s’en fallait de deux longs mois encore que l’aviso se montrât à l’ouvert de la baie d’Elgor. En admettant que Vasquez n’eût pas été découvert auparavant, comment lui serait-il possible de pourvoir à sa nourriture ?… Un abri, il le trouverait toujours à l’intérieur de quelque grotte de la falaise, et, d’ailleurs, la belle saison devait se prolonger au moins jusqu’à l’époque de la relève. Mais, si on eût été en plein hiver, Vasquez n’aurait pu résister à ces abaissements de température qui font tomber le thermomètre à trente et quarante degrés au-dessous de zéro. Il serait mort de froid avant même de mourir de faim.

Tout d’abord, Vasquez se mit à la recherche d’un abri. Le logement avait certainement appris aux pirates que le service du phare était confié à trois gardiens. Sans aucun doute, ils voudraient à tout prix se défaire du troisième qui leur avait échappé, et ils ne tarderaient pas à le chercher aux alentours du cap San Juan.

Toute son énergie était revenue à Vasquez. Le désespoir n’avait pas prise sur ce caractère fortement trempé.

Après quelques recherches, il finit par découvrir un évidement étroit d’orifice, d’une profondeur de dix pieds, d’une largeur de cinq à six, près de l’angle que la falaise faisait avec la grève du cap San Juan. Un sable fin en couvrait le sol, qui restait hors d’atteinte des plus hautes marées, et qui ne recevait pas de plein fouet les vents du large. Vasquez s’introduisit dans cette cavité où il déposa les quelques objets emportés du logement, ainsi que le peu de provisions contenu dans son sac. Quant à l’eau douce, un petit rio, alimenté par la fonte des neiges et qui coulait au pied de la falaise vers la baie, l’assurait contre les besoins de la soif.

Vasquez apaisa sa faim avec du biscuit et un morceau de corn-beef. Comme il se disposait à sortir pour se désaltérer, il entendit un bruit à faible distance, et s’arrêta.

« Ce sont eux », se dit-il.

Se couchant près de la paroi, de manière à voir sans être vu, il regarda dans la direction de la baie.

Un canot, monté par quatre hommes, descendait le courant. Deux nageaient à l’avant.