Eh bien, Messieurs, si nous écrasions
l’ours ? »
Le grognement guttural s’enfla dans le vaste
salon. D’homme à homme s’échangeaient des signes d’approbation et
d’assurance. Les figures avaient pris une expression décidée.
C’étaient bien des combatifs.
De son air froid et sans passion,
M. Wickson continua :
« Mais ce n’est pas avec des
bourdonnements que nous écraserons l’ours. À l’ours, il faut donner
la chasse. À l’ours on ne répond pas avec des paroles. Nous lui
répondrons avec du plomb. Nous sommes au pouvoir : personne ne
peut le nier. En vertu de ce pouvoir même, nous y
resterons. »
Il fit soudain face à Ernest. L’instant était
dramatique.
« Voici donc notre réponse. Nous n’avons
pas de mots à perdre avec vous. Quand vous allongerez ces mains
dont vous vantez la force pour saisir nos palais et notre aisance
dorée, nous vous montrerons ce que c’est que la force. Notre
réponse sera formulée en sifflements d’obus, en éclatements de
shrapnells et en crépitements de mitrailleuses[48].
Nous broierons vos révolutionnaires sous notre talon et nous vous
marcherons sur la face. Le monde est à nous, nous en sommes les
maîtres, et il restera à nous. Quant à l’armée du travail, elle a
été dans la boue depuis le commencement de l’histoire, et
j’interprète l’histoire comme il faut. Dans la boue elle restera
tant que moi et les miens et ceux qui viendront après nous
demeureront au pouvoir. Voilà le grand mot, le roi des mots, le
Pouvoir ! Ni Dieu, ni Mammon, mais le Pouvoir ! Ce
mot-là, retournez-le sur votre langue jusqu’à ce qu’elle vous
cuise. Le Pouvoir ! »
– Vous seul m’avez répondu, – dit
tranquillement Ernest, et c’est la seule réponse qui pouvait être
donnée. Le Pouvoir ! C’est ce que nous prêchons, nous autres
de la classe ouvrière. Nous savons, et nous le savons au prix d’une
amère expérience, qu’aucun appel au droit, à la justice, à
l’humanité, ne pourra jamais vous émouvoir. Vos cœurs sont aussi
durs que les talons avec lesquels vous marchez sur la figure des
pauvres. Aussi nous avons entrepris la conquête du pouvoir. Et par
le pouvoir de nos votes au jour des élections nous vous enlèverons
votre gouvernement.
– Et quand même vous obtiendriez la
majorité, une majorité écrasante, aux élections, interrompit
M. Wickson, supposez que nous refusions de vous remettre ce
pouvoir capturé dans les urnes ?
« Cela aussi, nous l’avons prévu,
répliqua Ernest, et nous vous répondrons avec du plomb. Le pouvoir,
c’est vous qui l’avez proclamé roi des mots. Très bien ! ce
sera donc une affaire de force. Et le jour où nous aurons remporté
la victoire au scrutin, si vous refusez de nous remettre le
gouvernement dont nous nous serons emparés constitutionnellement et
paisiblement, eh bien, nous vous riposterons du tac au tac, et
notre réponse sera formulée en sifflements d’obus, en éclatements
de shrapnells et en crépitements de mitrailleuses.
« D’une façon ou d’une autre, vous ne
pouvez nous échapper. Il est vrai que vous avez clairement
interprété l’histoire. Il est vrai que depuis le début de
l’histoire le travail a été dans la boue. Il est également vrai
qu’il restera toujours dans la boue tant que vous demeurerez au
pouvoir, vous et les vôtres et ceux qui viendront après vous. Je
souscris à tout ce que vous-avez dit. Nous sommes d’accord.
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