Vous, les autres, les camarades, c’est l’heure de rentrer à l’annexe. Moi, j’ai la clef. Faites vos adieux à la maman, et trottez-vous.
Et lorsque les adieux furent faits, il les poussa dehors, revint vers la jeune femme, la ramena au salon, et s’écria :
– Maintenant, causons, maman Coralie. Et d’abord, avant toute explication, écoutez-moi. Ce sera bref.
Ils étaient assis devant le feu clair dont les flammes brillaient joyeusement. Patrice Belval glissa un coussin sous les pieds de maman Coralie, éteignit une ampoule électrique qui semblait la gêner, puis, certain que maman Coralie était bien à son aise, il commença tout de suite :
– Il y a, comme vous le savez, maman Coralie, huit jours que je suis sorti de l’ambulance, et que j’habite boulevard Maillot, à Neuilly, l’annexe réservée aux convalescents de cette ambulance, annexe où je me fais panser chaque matin et où je couche chaque soir. Le reste du temps, je me promène, je flâne, je déjeune et je dîne de droite et de gauche, et je rends visite à d’anciens amis. Or, ce matin, j’attendais l’un d’eux dans une salle d’un grand café-restaurant du boulevard, lorsque je surpris la fin d’une conversation... Mais il faut vous dire que cette salle est divisée en deux par une cloison qui s’élève à hauteur d’homme, et contre laquelle s’adossent, d’un côté, les consommateurs du café et, de l’autre, les clients du restaurant. J’étais encore seul, côté restaurant, et les deux consommateurs qui me tournaient le dos et que je ne voyais pas, croyaient même probablement qu’il n’y avait personne, car ils parlaient d’une voix un peu trop forte, étant données les phrases que j’ai surprises... et que, par suite, j’ai notées sur ce calepin.
Il tira le calepin de sa poche et reprit :
– Ces phrases, qui se sont imposées à mon attention pour des raisons que vous comprendrez, furent précédées de quelques autres où il était question d’étincelles, d’une pluie d’étincelles qui avait eu lieu déjà deux fois avant la guerre, une sorte de signal nocturne dont on se promettait d’épier le retour possible afin d’agir en hâte dès qu’il se produirait. Tout cela ne vous indique rien ?
– Non... Pourquoi ?
– Vous allez voir. Ah ! J’oubliais encore de vous dire que les deux interlocuteurs s’exprimaient en anglais, et d’une façon correcte, mais avec des intonations qui me permettent d’affirmer que ni l’un ni l’autre n’étaient Anglais. Leurs paroles, les voici fidèlement traduites :
« – Donc, pour conclure, fit l’un d’eux, tout est bien réglé. Vous serez, vous et lui, ce soir, un peu avant sept heures, à l’endroit désigné.
« – Nous y serons, colonel. Notre automobile est retenue.
« – Bien. Rappelez-vous que la petite sort de son ambulance à sept heures.
« – Soyez sans crainte. Aucune erreur n’est possible, puisqu’elle suit toujours le même chemin, en passant par la rue Pierre-Charron.
« – Et tout votre plan est arrêté ?
« – Point par point. La chose aura lieu sur la place où aboutit la rue de Chaillot. En admettant même qu’il y ait quelques personnes, on n’aura pas le temps de secourir la dame, tellement nous agirons avec rapidité.
« – Vous êtes sûr de votre chauffeur ?
« – Je suis sûr que nous le payons de manière qu’il nous obéisse. Cela suffit.
« – Parfait. Moi, je vous attends où vous savez, dans une automobile. Vous me passerez la petite. Dès lors, nous sommes maîtres de la situation.
« – Et vous de la petite, colonel, ce qui n’est pas désagréable, car elle est diablement jolie.
« – Diablement. Il y a longtemps que je la connais de vue, mais je n’ai jamais pu réussir à me faire présenter... Aussi je compte bien profiter de l’occasion pour mener les choses tambour battant.
« Le colonel ajouta :
« – Il y aura peut-être des pleurs, des cris, des grincements de dents. Tant mieux ! J’adore qu’on me résiste... quand je suis le plus fort.
« Il se mit à rire grossièrement. L’autre en fit autant.
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