Moyennant quoi, il adhère sans peine à tout le film, comme à une sécrétion de sa propre conscience.

 

Aristippe de Cyrène : Avant de quitter ton lit, demande-toi sept fois s’il est utile aux dieux, au monde et à toi-même que tu te lèves.

 

Se réveiller dans une chambre d’hôtel d’une ville étrangère où l’on est arrivé la veille. Nombre de fractions de seconde, et, qui sait, nombre de secondes qu’il faut pour se resituer, sortir du désarroi où l’on s’éveille. Je suis sûr que ce bref laps de temps (ce mot laps qui vient du latin lapsus convient on ne peut mieux) augmente avec l’âge. Je suis sûr qu’il me faut maintenant plus de temps pour rassembler les fils de ma vie qu’il y a trente ans. Et si le « laps » en question venait à se prolonger ? Ce serait la folie pure et simple, l’irruption nu dans les couloirs de l’hôtel, et la prise à partie des clients et du personnel avec cette lancinante question : voulez-vous me dire où je suis et ce que je fais ici ?

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Avec la jubilation du travail bien fait, les journalistes de la télévision rendent compte d’une avalanche de calamités qui fondent sur le pauvre monde, inondations, meurtres, guerres civiles, famines, épidémies. À ce pessimisme béat, je m’efforce d’opposer un optimisme inquiet.

 

Deux figures majeures de la littérature française appartenant à la même génération : Emma Bovary et Sido. Même époque, même milieu (petite bourgeoisie rurale). Mais alors qu’Emma méprise toute la réalité qui l’entoure – y compris sa fille – et se réfugie dans un romanesque de pacotille, la mère de Colette magnifie tout ce qu’elle touche par son attention et son amour.

 

Les plus anciennes photos (1855) nécessitant une pose très longue (deux minutes au moins) ne retenaient pas ce qui bougeait, et vidaient les rues et les places de leurs passants, de leurs habitants. La pierre et le monument sont ainsi nettoyés de toute trace de vie, de toute pollution biologique. On songe à la nouvelle bombe à neutrons destinée à tuer toute vie sans provoquer de destructions. Le bébé est liquidé, le berceau reste intact.

 

Télévision. Des hommes et des femmes ordinaires paraissent chaque jour sur le petit écran à la faveur de l’actualité ou de certains jeux. Spontanément, ils créent un « style » de personnage. C’est du théâtre sauvage, mais il y a tout lieu de croire que les acteurs professionnels doivent tenir compte désormais de cette nouvelle école.

 

Le prince de Polignac, grand mondain, s’efforçant à la fin de sa vie de tirer la conclusion de toute son expérience, en arrive à cette constatation : « Au fond, je n’aime pas les autres. » Après une vie de solitude, je me dis parfois : « Au fond tu as l’admiration trop facile. Ils n’en méritent pas tant ! »

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Je ramasse un autostoppeur qui se présente comme un lycéen de Zurich. Je le dépose deux heures plus tard. Je lui dis en guise d’adieu : « Ein Glück für dich, dass du keine Zeit hattest mich kennen zu lernen, sonst könntest du nicht mehr weggehen. Die, die mich kennen, können mich nämlich nicht mehr entbehren. » Il a dû me prendre pour un fou.

 

Hérissons. Les routes constellées de petits paillassons ensanglantés : des hérissons écrasés. Giraudoux explique ce massacre en disant que tous les hérissons mâles habitent le côté gauche des routes, tous les hérissons femelles le côté droit, et qu’ils se font écraser au cours de leurs visites nuptiales. Ce qui est plus sûr, c’est le rôle de leur réflexe catastrophique : en cas d’alerte, ils s’arrêtent et se mettent en boule, la dernière chose à faire quand survient une voiture. Il faut ajouter qu’ils sont possédés par une bougeotte irrésistible. Régulièrement un hérisson apparaît dans mon jardin. Je lui offre une assiette de lait. Il la sent et accomplit un parcours en cercles concentriques avant de la trouver. Se gave sous l’œil impuissant et dégoûté du chat. Mais rien ne le retient. Le lendemain, il a disparu.

 

B.F., végétarien, me dit : « La viande, c’est l’homme, le poisson, c’est la femme, deux choses que j’ai éliminées de ma vie. » Lanza del Vasto m’avait dit un jour en me voyant couper un bifteck saignant : « Vous mangez des plaies. »

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Chat. Premier printemps de Sacha. Il disparaît des nuits entières et revient le nez et les oreilles en sang.