L’hygiène est sauve, à défaut du reste…
Chez le crémier. J’observe un bon moment un petit personnage de quatorze quinze ans dont je n’arrive pas à déterminer le sexe. Fille ou garçon ? Tout son charme se serait sans doute évanoui si la réponse s’était tout à coup imposée. Beauté incomparable de la fille-garçon et du garçon-fille. Le rire que provoque chez lui, chez elle, la perplexité qu’il-elle fait naître, Jeanne d’Arc, petit page vêtu de gris et de noir, bouleversant Gilles de Rais lors de sa survenue à la cour de Chinon.
Rien de plus beau qu’un visage illuminé par la joie. La gaieté des traits manifestant une explosion de joie intérieure. La face pesante et grise du jeune paysan surpris à la fête foraine devient soudain phosphorescente, parce qu’il y a des flonflons, des manèges, des barbes à papa, parce qu’on va danser, faire la fête.
Enfants. Ils ne connaissent que des relations verticales. Ils regardent soit de haut en bas, soit de bas en haut. L’inégalité est leur mesure habituelle, même entre frères et sœurs, même entre camarades d’école. D’où l’intérêt de l’enfant pour l’animal : il le regarde de haut. L’adulte regarde à sa hauteur, il observe l’horizon, il rêve de démocratie. L’enfant regarde vers la terre ou vers le ciel. Il reçoit des ordres, aime à en donner. Il domine avec bonheur le monde des jouets. Ce qui l’ennuie : des discussions d’adulte, c’est-à-dire des échanges horizontaux sur la politique ou l’amour, etc.
Enfant. Il « boude ». Parce qu’il est admis qu’il vaut mieux laisser un enfant bouder tranquille, on a pris le parti de ne pas s’intéresser au phénomène. Et pourtant ! Il se présente comme un refus généralisé du monde extérieur. Le boudeur ne veut plus rien voir ni entendre. Il s’immobilise, la tête dans les mains ou contre un mur, et ne répond à aucune parole. Sorte de fausse catalepsie dont il sort subitement sur un mystérieux signal, et qui paraît ensuite oubliée, comme frappée d’amnésie. La part de comédie qu’il y a dans la bouderie n’enlève rien à l’intérêt du phénomène.
Le comédien qui a tenu tous les rôles du répertoire cherche ses vêtements dans son armoire et ne trouve que le pourpoint de Don Juan, la tunique de Hamlet, la défroque de Tartuffe, le péplum de Britannicus. Ainsi le romancier peu à peu dépersonnalisé par ses personnages.
R. Kipling : Une femme n’est qu’une femme, mais un bon cigare, c’est un bon cigare.
Le prétendu et le soi-disant. À force de se dire génial, on finit par en persuader les autres. Le soi-disant génie est devenu un prétendu génie. À force de s’entendre dire qu’il est mauvais, l’enfant devient délibérément mauvais. Le prétendu mauvais est devenu un soi-disant mauvais. Processus de la caricature assumée, revendiquée : le prétendu bougnoule, pédé, négro, youpin devient un soi-disant bougnoule, pédé, négro, youpin.
Damien (neuf ans) décide de tourner un film avec un copain. Ils discutent scénario, costumes, décors, etc.
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