Le vagabond
Edgar Wallace
(Richard Horacio Edgar Freeman)
LE VAGABOND
(The Northing Tramp)
Traduit par F. Lorant
1930 (1926)
édité par les Bourlapapey,
bibliothèque numérique romande
www.ebooks-bnr.com
CHAPITRE PREMIER
ROBIN, LE VAGABOND
D’aspect moins pittoresque que les vagabonds en général, il paraissait plus dangereux. Il jouait avec un pistolet automatique en parfait état, le jetait, le rattrapait, le faisait tenir en équilibre sur son index – et le suivait d’un regard anxieux dans son va-et-vient – ou le laissait glisser entre ses mains jusqu’à ce que le canon pointât vers le sol. Il le maniait comme un jouet précieux, il n’en pouvait détacher ni les yeux ni les mains. Et quand, fatigué du jeu, il le glissa dans la poche de son pantalon en loques, ce ne fut que pour quelques instants. Il l’en ressortit pour le caresser, le jeter en l’air, et le faire pirouetter.
« C’est impossible » dit le chemineau à plusieurs reprises, en jouant de la sorte.
À n’en pas douter, il était anglais. Ce qu’un vagabond anglais pouvait bien faire dans les faubourgs de Littlebourg, en plein état de New-York, demanderait certes une explication, mais n’en recevra pas pour le moment.
Cet homme n’avait rien de sympathique, même à la façon dont les vagabonds peuvent l’être. Son visage pustuleux était tuméfié, sa barbe datait pour le moins d’une semaine. Il portait sur un œil l’empreinte violente d’un coup de poing appliqué quelques jours auparavant par un autre vagabond révélé sans doute mal à propos. Il aurait certes pu expliquer l’enflure de son visage en prétextant son ignorance des propriétés dangereuses du sumac, si quelqu’un se fût assez intéressé à lui pour le lui demander.
Sa chemise sans col était crasseuse. La loque qui lui tenait lieu de veston avait des trous en guise de poches.
Tout en jonglant avec son pistolet, il retenait sur sa tête un vieux chapeau melon, tout bossué, et aux bords rongés par les rats.
« Impossible ! » répéta le vagabond, qui répondait au nom de Robin.
Le pistolet lui échappa des mains et lui tomba sur le pied. « Aie ! » dit-il et il frotta son orteil endolori, visible entre la semelle et l’empeigne.
Quelqu’un s’avançait à ce moment à travers le petit bois. Robin glissa le pistolet dans sa poche, et se faufilant sans bruit dans les buissons, il s’y tapit…
Il vit alors à peu de distance une jeune fille assez jolie, très mince et gracieuse. « Une aristocrate, du pays ! » pensa-t-il. Elle portait une robe de soie à raies et maniait une canne avec beaucoup d’assurance.
Elle s’arrêta presqu’en face de lui et alluma une cigarette. Était-ce plaisir ou affectation ? Elle seule eût pu le dire. À une centaine de mètres de là, le sentier du bois rejoignait la route de la ville, bordée d’une double rangée de hautes maisons, précisément habitées par les sortes de gens enclins à se choquer à la vue d’une femme fumant une cigarette. « C’est pour l’effet », pensa Robin.
« Miséricorde ! mais c’est qu’elle va l’allumer ! » De l’endroit où il était il avait vu la mine dégoûtée avec laquelle elle avait regardé le mince rouleau de tabac d’où sortait un faible filet de fumée. Elle tira de grosses bouffées pour la faire prendre, puis s’en alla. Il sympathisait en général avec ceux qui scandalisaient les autres. Il avait tant fait scandale lui-même, et n’était pas en voie de s’arrêter !
Tout doucement, il revint vers le sentier. Attendrait-il la tombée de la nuit, ou ferait-il le tour de la ville ? Il devait certainement y avoir un chemin vers le nord, à l’est des moulins, ou vers le sud, après la grande fabrique. Ou encore, irait-il hardiment le long de la rue principale, au risque d’avoir à subir les questions indiscrètes d’un gendarme trop vigilant, ou d’être chassé de la ville.
Il se décida soudain pour la première alternative sans plus de délibération. La route de la ville était décidément par trop dangereuse. Red Beard pouvait se trouver par là, de même que le petit homme gras qui courait si étonnement vite, et lançait des couteaux avec une si prodigieuse habileté !
Un autre piéton s’avançait, marchant si doucement sur des semelles de caoutchouc que Robin le vit avant de l’avoir entendu. C’était un mince jeune homme, très élégamment vêtu, portant un chapeau de paille orné d’un ruban de couleur, incliné sur l’œil droit. La boucle de la ceinture entourant sa taille de guêpe, et soutenant son pantalon au pli bien marqué, était en or. Sa chemise, admirablement brodée. On aurait pu le croire fraîchement sorti de la page réclame d’un quelconque magazine.
À la vue du loqueteux assis sur le rebord du chemin, sa bouche qu’il avait assez grande se plissa.
– Allô !
– Lo ! dit Robin.
– Vous allez loin ?
– Non !… Au Canada probablement. Je m’embarque à Ogdensburg.
– Ah ! vraiment ! Vous avez votre passeport, et tout ce qu’il faut ?
La raillerie n’avait pas de prise sur Robin.
– Je passerai sur ma mine, répliqua-t-il.
Le jeune homme ricana, et tendit un étui en argent, se ravisa, en tira lui-même une cigarette.
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