Quel air aurai-je si le testament était contesté une fois Octobre établie ?

– Elle épouse Samuel Wasser, n’est-ce pas ?

M. Elmer fit un signe de tête affirmatif. Ses yeux regardaient fixement à travers la fenêtre, le cheval minable attelé à son boghei. Ce malheureux animal, à l’aspect cadavérique, mangeait avec avidité le foin entassé dans un char imprudemment laissé à sa portée.

– Oui ! Samuel est un brave garçon.

Il rumina cette phrase pendant un moment.

– Octobre, est une espèce de toquée ! Oh ! nullement à l’égard de Samuel.

Entêtée comme une vieille mule. Elle est complètement folle ! Je l’ai vue sur la margelle du puits disant : « Touchez-moi et je saute dedans ». Oui Monsieur ! Ah ! comme on a gâté la jeunesse actuelle en lui marchandant le fouet ! Mon père, lui, avait une canne dont il se servait indistinctement pour nous tous, filles et garçons. Suis-je le tuteur d’Octobre, oui ou non !

Mme Elmer pense avec raison que le fouet est tout justement ce qui conviendrait à Octobre. Oh ! elle ne crie pas, mais elle va jusqu’au puits et dit : « Si vous me battez, je saute dedans ». Or, je professe que le suicide est un des plus pernicieux sujets dont on puisse s’entretenir. C’est un véritable défi jeté à la face de la sainte Providence. Voilà comme elle est ! Elle fera n’importe quoi, mais à sa manière. Samuel est un bon et brave garçon. Outre le magasin, son père possède, des terrains à bâtir, et des maisons locatives. Samuel aussi a amassé de l’argent !

Et l’argent est une bonne chose.

Il y eut un silence.

La lèvre supérieure de M. Elmer, longue, mince et rasée, se mit en mouvement et s’agita avec une incroyable rapidité. Observateur attentif, M. Pfeiffer put y lire les mots : « Octobre », « Souci » et plusieurs fois « Argent ».

Enfin, il devint intelligible.

– On ne sait jamais où on en est avec Octobre. Imaginez que vous lui disiez : « Octobre, il y a un pâté de poulet pour le dîner » elle répond « oui ». Et quand vous lui tendez le plat, elle s’écrie : « je ne mange pas de pâté de poulet », tout simplement. Elle ne dira rien jusqu’au moment où vous lui aurez tendu le plat.

M. Elmer retomba dans le silence. De toute évidence, le testament préoccupait de nouveau son esprit. Le notaire saisit : « teste » et d’autres mots.

– Et elle a pris des allures par trop modernes ; elle a fumé dans la Grand’rue, pas plus tard que ce matin, et pourtant je l’ai suppliée, Mme Elmer est presque tombée à ses genoux pour…

– Je me demande quel a été le vrai motif pour un pareil testament, se permit de dire M. Pfeiffer. Pourquoi l’allusion à ce testament, pourquoi ce mariage avant sa vingt et unième année ?

M. Elmer lui lança un regard peu tendre.

– Tout d’abord, Jones croyait qu’il est bon de se marier jeune. Et elle avait raison. Et puis, le Psalmiste n’a-t-il pas dit : « Une jeune fille… »

– Mais oui, mais oui ! dit le notaire avec un peu d’impatience. Nous savons bien ce qu’il a dit !

« Mais je n’ai jamais considéré David comme l’idéal d’un moniteur d’école du dimanche. Les idées de Mme Elmer sont parfaitement compréhensibles, mais ce que je ne puis concevoir, c’est cette façon de les exprimer ! Ça a tout l’air d’une largesse pour vous enlever Octobre ».

Ses yeux clairs fixèrent M. Elmer durant une seconde, mais cet homme de bien et de conscience se borna à regarder distraitement par la fenêtre sans rien dire.

S’il entendit les paroles de M. Pfeiffer, il ne les releva pas.

– Ce différend au sujet du reliquat de cette fortune qui manifestement n’existe pas, dit M. Pfeiffer en s’échauffant un peu, m’a tout l’air d’un appât pour attirer un épouseur ! « Tout le reste de ma fortune », cela sonne bien, mais autant que j’en puis juger, Elmer, il y a dix ares de marais et une bicoque où ni homme ni femme ne voudrait vivre. Cela fait bien cinq cents dollars.

Il regarda interrogativement son interlocuteur.

– Deux mille cinq cents, murmura M. Elmer j’ai fait venir un homme pour l’évaluer. Il a dit qu’il était bien possible qu’on fasse passer le nouveau canal à travers cette propriété. Qu’est-ce que je vous dois, M. Pfeiffer ?

La première intention du notaire avait été de ne rien demander, mais il se ravisa.

– Dix dollars dit-il brièvement. Il vit une hésitation chez le vieillard.

M. Elmer paya aussitôt, mais avec un dépit marqué.

Il s’arrêta un moment à la porte du bureau. Le notaire eut une idée.

– Dites donc, M. Elmer, et si Samuel ne voulait pas se marier ? Il a pris certain petit genre, ces derniers temps, et paraît avoir plus d’argent qu’il ne devrait.

M. Elmer sembla mal à l’aise.

– Samuel est un garçon travailleur, dit-il. Il a gagné son argent sur des biens-fonds.

– Où çà ? demanda l’autre brusquement.