Des représentants du gouvernement, accompagnés de policiers, ont ordonné à tous de préparer les enfants pour un long voyage.
« Vous n’avez pas d’argent pour les éduquer et bien les nourrir, avait expliqué le fonctionnaire. Regardez vos enfants ! Ils ne savent ni lire ni écrire. Ils sont maigres. Ils ont l’air de vrais sauvages. Au pensionnat, ils vont être nourris et logés convenablement. Ils vont apprendre à lire et à écrire. Et puis ce sont des religieux qui vont se charger d’eux. C’est mieux pour eux ainsi. »
Le père de Virginie a d’abord refusé de laisser ces inconnus emmener sa fille dans cet endroit qu’il ne connaît pas. Il ne comprend pas pourquoi celle-ci ne pourrait vivre la même vie que lui. Une vie qu’il estime heureuse. Mais le fonctionnaire s’est montré intraitable.
« N’essayez pas de jouer au plus fin avec le gouvernement. Si vous refusez, c’est l’armée qui va les prendre. Comprenez-vous ce que je vous dis ? Vous n’avez pas le choix. Le gouvernement a décidé qu’il était temps que les Indiens apprennent à lire comme les autres Canadiens. C’est aussi simple que ça. Nous sommes au XXe siècle. Il est temps, même pour les sauvages, d’apprendre à devenir modernes ! »
Gérard Siméon, un chasseur respecté et un homme réservé, a longuement regardé l’homme qui parlait d’emmener sa fille unique. C’est un individu court, serré dans son costume brun. De petites lunettes circulaires posées sur son nez étroit glissent constamment et le forcent à les replacer d’un geste nerveux. Il parle avec la froideur d’un bureaucrate attelé à sa tâche. L’homme a expliqué que, désormais, les enfants fréquenteront le pensionnat de Fort George et qu’ils ne reviendront qu’à l’été.
Le chasseur innu n’a jamais entendu parler de cet endroit. L’employé de l’État lui a expliqué qu’il se trouvait au nord-ouest, très loin, à la limite du territoire des Cris et des Inuits. Le pensionnat tout neuf vient d’être construit sur une île de la baie James, et les enfants ne manqueront de rien. Le gouvernement du Canada s’y engage par la voix de son représentant.
C’est l’homme en soutane qui a finalement convaincu le père de Virginie. « Nous allons lui donner une bonne éducation, Gérard. Elle sera entourée de religieuses qui veilleront sur elle et sur les autres, a-t-il dit d’une voix mielleuse, mais ferme. Vous ne voulez pas vous opposer à la volonté de Dieu et de la bonne sainte Anne, j’espère ? »
Davantage que les armes des policiers accompagnant le fonctionnaire fédéral, c’est l’argument du prêtre qui a fait céder le chasseur innu. Comme tous les membres de sa communauté, il a la foi, et celle-ci l’a poussé à se plier à la volonté de Dieu.
Sa mère a parlé à Virginie. Elle lui a dit qu’elle devait aller à l’école loin d’ici. Qu’elle devait vivre là-bas jusqu’à l’été prochain.
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