Et surtout qu’elle ne pourra les suivre en territoire cette année. Elle lui a raconté pour la réconforter qu’elle n’est pas la seule dans cette situation. Il en est ainsi pour tous les enfants de Mashteuiatsh. Sa mère lui a expliqué qu’elle devra apprendre le français, une langue qu’elle parle à peine. Elle devra aussi apprendre les manières des Blancs !
Virginie a écouté respectueusement ses parents, mais sans en croire ses oreilles. Comment sa mère et son père, si fiers de leur propre héritage, peuvent-ils lui demander d’apprendre à vivre selon d’autres valeurs ?
Elle sait déjà ce dont elle a besoin pour vivre. Elle sait tirer, piéger le gibier, monter une tente, tanner les peaux. Elle peut même utiliser des plantes pour soigner, comme sa grand-mère le lui a montré. Elle sait manier un canot dans le courant et peut soulever son propre poids pendant les portages. Ses parents n’ont jamais mis les pieds dans une école et ils n’en demeurent pas moins parmi les plus respectés de Mashteuiatsh.
La mère de Virginie n’a pas tenu compte de ses supplications. Elle lui a recommandé d’être brave.
« Fais ce qu’on t’a toujours enseigné. Observe et écoute. Et n’oublie pas ton peuple », lui a-t-elle dit d’une voix qui cachait mal sa tristesse.
Virginie a senti son désarroi de femme, déchirée entre ses réflexes de mère et son respect de l’autorité des représentants de Dieu. Et cela l’a troublée encore davantage.
Le chauffeur ouvre la porte de l’autobus, et le policier ordonne aux enfants de monter à bord. Les plus jeunes ont six ans. Les plus vieux, seize. Ils grimpent les marches l’un à la suite de l’autre, dans un silence lourd que des pleurs viennent parfois rompre.
Virginie et Marie s’installent au fond, s’agrippent l’une à l’autre comme si cela pouvait les retenir.
Le moteur rugit. L’autobus se met à rouler en grinçant. Les parents forment une haie silencieuse de regards humides. Le cœur serré, ils voient s’éloigner le véhicule emportant leur progéniture vers un monde inconnu. Le vent souffle et fait danser le sable sur les berges du lac. Mais personne n’y prête attention.
*
Prêt à partir, l’avion de la Royal Canadian Air Force attend ses passagers au bout de la piste de terre poussiéreuse. Le bruit des moteurs résonne.
Le chauffeur a garé l’autobus au bord de la piste, à la hauteur de l’avion. Les policiers en font descendre les enfants, puis les font monter dans un ordre tout militaire à bord de l’appareil. La carlingue ne comportant aucun siège, ils doivent s’asseoir directement sur le sol de métal, et l’espace restreint les oblige à se presser les uns contre les autres, autour des bagages déposés au centre.
L’avion se met en branle dans un ballet assourdissant de cylindres et de pistons. Il grince, tremble, puis vrombit furieusement quand le pilote augmente les gaz, ce qui sème la peur chez les enfants, qui n’ont jamais entendu un tel vacarme.
L’appareil accélère graduellement mais, trop lourdement chargé, il rebondit sur la piste et peine pour décoller, secouant ses passagers. Le pilote pousse les gaz à fond, et finalement le zinc se soulève d’un bond et s’envole. Le pilote met le cap nord-ouest. Bientôt, l’avion survole la forêt.
Dans la carlingue, certains pleurent, d’autres hurlent, mais les grondements du moteur couvrent le bruit des uns comme des autres. Marie tient la main de Virginie.
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