Elle cherche son homme depuis deux jours. Avant lui, il y a eu Gertrude Jourdain, Pascale Gill, puis Linda Bacon.
Encore une fois, elle doit se résoudre à demander l’aide de Jimmy. Elle le trouve facilement. Jimmy passe ses journées dans la roulotte où il accueille les Amérindiens dans le besoin. Les perdus, les abandonnés. Ces hommes et femmes qui ont quitté leur réserve pour venir s’échouer en ville, où personne ne s’intéresse à eux, sauf lui.
Audrey entre sans frapper. Jimmy est en train de faire chauffer la soupe qu’il va distribuer ce soir. Il pose son regard paisible sur elle.
« J’ai encore besoin de vous, Jimmy, dit l’avocate en s’asseyant sur un banc de similicuir.
— Laissez-moi deviner. Vous cherchez quelqu’un ?
— Ne vous moquez pas de moi », lui lance-t-elle sèchement en plantant ses yeux verts sur lui.
Sa façon de regarder les gens leur fait habituellement comprendre qu’elle n’entend pas à rire. Mais le vieux Jimmy en a vu d’autres.
Depuis quinze ans, il patrouille dans le bas de la ville pour aider les itinérants autochtones. Il a connu des débuts modestes alors qu’il arpentait seul les rues et prodiguait de l’aide comme il le pouvait. Puis, peu à peu, des personnes, touchées par son dévouement, ont commencé à l’aider. Des gens d’affaires se sont mobilisés pour le soutenir financièrement. Aujourd’hui, Jimmy dispose d’un centre pour accueillir les itinérants la nuit et, le jour, il arpente les quartiers qu’ils fréquentent dans sa popote mobile multicolore si facilement reconnaissable.
Avec le temps, Jimmy est devenu une institution. Les médias s’intéressent à lui, lui consacrent régulièrement des reportages, surtout pendant les fêtes. Son histoire a tout pour séduire. Celle d’un Amérindien de l’ouest du pays, un Nakota des Prairies, né dans la région de Regina en Saskatchewan, qui, après des années de galère dans cette ville, a pris la route pour fuir la misère. Caché dans un train de blé, il a traversé la moitié du Canada pour finalement échouer à Montréal.
Il a cessé de boire et, depuis, consacre sa vie à aider les autres à s’en sortir, comme lui-même a réussi à le faire.
« Qui est-ce, cette fois, Audrey ? »
Jimmy a le regard le plus doux du monde, songe l’avocate. La présence du vieil homme l’apaise, car émanent de lui une sagesse ancienne et une bonté naturelle à ceux qui consacrent leur vie à aider leurs semblables.
« Il s’appelle Ernest Picard. C’est l’un des derniers sur ma liste. Je le cherche depuis deux jours, sans succès. »
Elle tend la photo à Jimmy, qui la prend, scrute tranquillement le visage puis lui rend le papier.
« C’est Ernie. Je le connais bien, naturellement. Ça fait un bout de temps que je ne l’ai pas vu. Presque une semaine. »
Certains viennent occasionnellement à la roulotte ou au centre. Ernest Picard, lui, compte parmi les habitués qui viennent tous les jours.
« C’est étrange qu’il ait disparu dans la nature. »
Jimmy fronce les sourcils.
« Ernie est un type renfermé, qui ne parle presque jamais et qui vit replié sur lui-même. Il n’a que son chien dans la vie, Bobby, un gros bâtard jaune, doux comme un agneau, qui le suit à la trace », dit-il en passant la main dans ses longs cheveux blancs.
Audrey saisit d’un geste vif son téléphone qui sonne.
« Audrey Duval ! »
Jimmy observe la jeune femme, tout à sa conversation téléphonique. Grande, mince, de magnifiques cheveux bruns tombant sur ses épaules, des yeux vert olive qui semblent un peu éloignés l’un de l’autre, ce qui lui donne un regard à la fois étrange et beau. Son nez est fin, sa bouche, large. Des dents blanches et bien alignées se dévoilent quand elle sourit, ce qu’elle fait facilement et souvent. Audrey Duval porte une robe à motif d’un tissu léger qu’elle a dû payer très cher.
Depuis quelques mois, la jeune avocate a entrepris de retrouver les Amérindiens de Mashteuiatsh qui ont fréquenté l’ancien pensionnat de Fort George, à la baie James.
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