Ces Indiens ont droit à une indemnisation. Le montant varie de quelques milliers à 250 000 dollars selon les sévices. Audrey fait parfois appel à lui pour les retracer.

« Merci pour tout, sergent Olivier. »

L’avocate termine sa conversation, l’air sombre.

« Mauvaise nouvelle, maître ?

— Je le crains, Jimmy. On a découvert le corps d’un homme dont le profil ressemble à Ernest. Overdose ou un truc du genre, selon les premières constatations.

— On dirait que le vieil Ernest a fini par craquer. Un autre », dit Jimmy de sa voix douce.

Il a vu beaucoup des siens mourir seuls, démunis. Chaque fois, cela lui a pincé le cœur.

« Un chien montait la garde près du corps, selon les policiers. Il correspond à la description du chien d’Ernest. Je passe à la morgue pour l’identifier. Vous voulez venir avec moi ?

— Non merci, laisse tomber Jimmy. Je préfère concentrer mon énergie sur les vivants. Pour eux, je peux encore faire quelque chose. »

Il retourne à sa cuisine. Audrey prend le chemin de la morgue, où elle reconnaîtra trop tard l’un de ceux qu’elle voulait aider.

3

Cadavres

Montréal

Le bureau du coroner se trouve dans un vieil édifice d’une dizaine d’étages, rue Parthenais. Le bâtiment de brique rouge au style victorien se dresse à proximité du quartier général de la Sûreté du Québec, une imposante construction moderne en béton, ceinturée de hautes grilles métalliques. Le quartier général de la Sûreté du Québec, qui abrite aussi un centre de détention, domine ce quartier populaire de Montréal.

Audrey Duval n’aime pas cet endroit. Elle déteste l’idée de se savoir à proximité de voleurs, de meurtriers ou de violeurs. Cela lui donne froid dans le dos. Elle n’aime guère plus la fréquentation des policiers et leurs manières rustres, acquises à force de se frotter aux criminels.

Elle n’apprécie pas la partie à l’est du centre-ville de Montréal et ses édifices à appartements décrépits, ses rues et ses trottoirs mal entretenus.

Pas surprenant qu’au sordide de l’univers du droit criminel elle ait préféré celui, feutré, du droit des affaires. Le bureau qu’elle occupe au sommet d’une élégante tour de verre du centre-ville lui offre une vue imprenable au sud sur le fleuve Saint-Laurent, à l’ouest sur le mont Royal et, au nord, sur les montagnes des Laurentides, qu’on aperçoit à l’horizon par temps clair.

Les contrats, les droits, les licences ; voilà un univers rationnel où son esprit cartésien navigue avec aisance. Chaque élément répond à une logique. Elle trouve stimulant de remonter le fil pour découvrir la faille ou l’erreur qui permettra de contourner une difficulté. Et elle y excelle. Sa capacité de travail et son intelligence vive lui ont rapidement valu une place chez Beckam et Elkman, le plus gros cabinet de la ville. Audrey Duval possède une mémoire infaillible. Rien ne lui échappe.

Qu’est-ce qui a bien pu amener cette femme sophistiquée entre les murs lugubres du bureau du coroner ? Et quel intérêt présente pour elle le cadavre d’un itinérant ?

Tout a commencé par une bonne action. Le Barreau incite chaque année ses membres à accepter et à plaider gratuitement une cause. Une forme de charité qui a l’avantage de donner accès à la justice à des gens qui n’en auraient pas les moyens. Surtout au tarif horaire exigé habituellement par Audrey Duval. Cela permet en même temps aux avocats de se donner bonne conscience.

Audrey Duval opte généralement pour une affaire qu’elle sait gagnée d’avance et qu’elle pourra mener rondement. Mais, cette fois, elle s’est intéressée à une histoire qui l’a interpellée sans qu’elle comprenne trop pourquoi.

Elle était tombée sur un article du Globe and Mail de Toronto évoquant les victimes des pensionnats autochtones.