Enfin il s’imagina de chasser, et, comme il était adroit à lancer des pierres, il abattit, après l’avoir guettée longtemps, une perdrix de mer qu’il voyait courir et jouer sur la grève. C’était un joli oiseau très gras ; il s’agissait de le faire cuire. Clopinet n’était pas embarrassé pour allumer du feu. Il avait dans son paquet une chose que dans ce temps-là on appelait un fusil, et dont tout le monde était muni en voyage. C’était un anneau de fer et un morceau d’amadou. Avec un caillou, on avait du feu presque aussi vite qu’à présent. Il fit un tas de feuilles et de broussailles sèches, et réussit à cuire son oiseau. Je ne réponds pas que la chair fût bien bonne et ne sentît pas la fumée, mais il la trouva excellente et regretta de ne pouvoir en offrir une aile à sa mère et une cuisse à son frère François. La perdrix de mer n’est point du tout une perdrix, c’est plutôt une hirondelle. Elle vit de coquillages et non de grain. Elle est très jolie avec son bec et son collier, qui ressemblent un peu en effet à ceux des perdrix. Elle est à peu près grosse comme un merle. On voit que Clopinet ne risqua pas d’avoir une indigestion.
Il avait vu, en chassant ce gibier, beaucoup d’autres oiseaux qui l’avaient bien tenté, des guignettes, des pluviers, des alouettes de mer, qui ne sont pas non plus des alouettes, mais qui sont une sorte de petits bécasseaux – des huîtriers ou pies de mer, des harles, des tourne-pierres, des mauves, des plongeons, enfin une quantité de bêtes emplumées qu’il ne connaissait pas, et qui, aux approches du soir, venaient s’ébattre avec des cris bruyants sur le sable. Il en remarqua de très gros qui nageaient au large et qui, au coucher du soleil, s’éloignaient encore plus, comme s’ils eussent eu l’habitude de dormir sur la mer. D’autres revenaient à terre et se glissaient dans les fentes de la dune ; d’autres prenaient leur vol, s’élevaient très haut et semblaient disparaître le matin dans les petits nuages blancs qui flottaient comme des vagues dans le ciel rose. Le soir, ils semblaient en redescendre pour souper sur les rochers et dans les sables. Clopinet se figura d’abord qu’ils passaient la journée dans le ciel, mais il en vit un très grand qui était perché sur le plus haut de la dune et qui s’en détacha pour faire un tour dans les airs et descendre à son lieu de pêche. Après celui-là, et partant toujours du sommet de la dune, un oiseau pareil fit le même manège, et puis un autre ; Clopinet en compta une vingtaine. Il en conclut que ces oiseaux nichaient là-haut et qu’ils étaient nocturnes comme les chouettes.
Clopinet qui de sa lucarne faisait beaucoup d’observations et voyait les oiseaux de très près sans en être aperçu, apprit une chose qui l’amusa beaucoup. Les hirondelles de mer, qui décrivaient de grands cercles autour de lui, laissaient tomber souvent de leur bec quelque chose qui ressemblait à des coquillages ou à de petits poissons, et comme elles se balançaient en même temps sur place en jetant un certain cri, elles avaient l’air de le faire exprès et d’avertir. Il en suivit de l’œil une en particulier et regarda en bas. Alors il vit remuer quelque chose par terre, comme si c’eût été le petit monde qui venait ramasser la nourriture que les mères leur jetaient du haut des airs. Quand il retourna à la grève, il put s’assurer qu’il ne s’était pas trompé ; mais quand il voulut s’approcher des petits pour les prendre, car ils ne volaient pas encore, la mère hirondelle jeta un autre cri qui, au lieu de les appeler sur le sable, les fit fuir vers la terre. Clopinet les chercha sous les herbes où ils s’étaient tapis et se tenaient immobiles. Il les trouva, et ne voulut point les prendre pour ne pas faire de chagrin à leur mère, qui en savait probablement le compte.
Tout en regardant comment les oiseaux s’y prenaient pour pêcher, il apprit à pêcher lui-même. Il n’y avait pas que des coquillages sur la rive : il y avait sur les sables, au moment où la marée se retirait, quantité de petits poissons très jolis et très appétissants. Il ne s’agissait que de se trouver là pour les prendre avant que le flot qui les poussait ne les eût emportés. Il vit comme les oiseaux pêcheurs étaient adroits et rusés. Il fit comme eux ; mais la marée était brutale, et Clopinet, sans en avoir peur, voyait bien maintenant que les ailes lui manquaient pour sauter par-dessus la vague et qu’il ne suffirait plus de son caprice pour devenir oiseau. Il n’avait eu cette faculté que dans les moments de grand danger ou de grand désespoir et il ne souhaitait point trop de s’y retrouver.
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