Auprès des Vaches-Noires, elle était haute de plus de cent mètres et toute coupée à pic, très belle, très sombre, avec des parois bigarrées de rouge, de gris et de brun-olive, qui lui donnaient l’air d’une roche bien solide. C’est par là qu’il aurait voulu se nicher, mais il ne paraissait point possible d’y aller. Qui sait pourtant s’il n’y avait pas quelque passage ? Son frère lui avait tant dit qu’il ne fallait pas dormir sur les Vaches-Noires qu’il avait promis de ne plus s’y risquer. Et puis le jour il redevenait un peu craintif et ne croyait plus beaucoup à ce qu’il avait vu la nuit. Il grimpa donc les endroits praticables de la dune et les trouva moins effrayants et moins difficiles qu’il ne l’avait pensé. Bientôt il en connut tous les endroits solides et comment on pouvait traverser sans danger les éboulements en suivant les parties où poussaient certaines plantes. Il connut aussi celles qui étaient trompeuses. Enfin il pénétra dans la grande dune et vit qu’elle était toute gazonnée dans certaines fentes et qu’il y pouvait marcher sans trop glisser et sans enfoncer beaucoup.

Après avoir erré longtemps, très longtemps, au hasard, dans ces éboulements plus ou moins solidifiés, il arriva sur une partie rocheuse et vit devant lui un enfoncement en forme de grotte, maçonnée en partie. Il y entra et trouva que c’était comme une petite maison qu’on aurait creusée là pour y demeurer. Il y avait un banc de pierre et un endroit noirci comme si on y eût allumé du feu ; mais il y avait bien longtemps qu’on n’y demeurait plus, car le beau gazon fin qui entourait l’entrée ne portait aucune trace de foulure ; même il y avait de grandes broussailles qui pendaient devant l’ouverture et que personne ne se donnait plus la peine de couper.

Clopinet s’empara de cet ermitage abandonné depuis bien des années à cause des éboulements du terrain environnant. Il y plaça son paquet et coupa des herbes sèches pour se faire un lit sur le banc de pierre. – À présent, se dit-il, le tailleur ni ma tante Laquille ne me trouveront jamais. Je suis très bien, et si j’avais seulement une de nos vaches pour me tenir compagnie, je ne m’ennuierais point.

Il regrettait ses vaches, que pourtant il n’avait jamais beaucoup aimées, et la tristesse le gagnait. Il prit le parti de dormir, car il avait assez de pain pour deux jours, et il s’était promis de ne pas se montrer tant que le tailleur pourrait être dans les environs. Il dormit longtemps, et, le soir étant venu, il était rassasié de sommeil. Encouragé par l’obscurité, il parcourut ce qu’il lui plut d’appeler son jardin, car il y avait beaucoup de fleurs. C’était tout de même un drôle de jardin ; cela était fait comme un fossé de verdure entre des talus tout droits qui ne laissaient voir qu’un peu de ciel. On y était dans un trou, mais ce trou, placé très haut sur la dune, n’avait pas de chemin pour monter ni descendre, et Clopinet, ne se souvenant pas bien comment il y était arrivé, se demanda s’il retrouverait le moyen d’en sortir.

Comme il avait l’esprit assez tranquille, ne souffrant plus ni de faim ni de fatigue, il s’essaya pour la première fois à raisonner et à prévoir. Il n’y a rien de tel pour cela que d’y être forcé. Il se dit que quelqu’un ayant demeuré là, il devait toujours être possible de s’y reconnaître. Il se dit aussi qu’il devait être proche de la mer, puisqu’il s’était tenu dans l’épaisseur de la dune loin du petit chemin qui en occupait à peu près le milieu, ce même chemin où il avait échappé au tailleur ; mais pourquoi ne voyait-il pas la mer ? – La ravine où il se trouvait tournait un peu à sa droite, et à sa gauche c’était comme un chemin naturel. Il le suivit, et arriva bientôt à une sorte de petit mur évidemment construit de main d’homme et percé d’un trou par où il regarda. Alors il vit la mer à cent pieds au-dessous de lui et la lune qui se levait dans de gros nuages noirs. Il fut content d’avoir à son gré la vue de cette mer qu’il aimait tant, dont il entendit la voix qui montait et qui promettait de le bercer plus doucement qu’autour de la Grosse-Vache. Il examina bien la paroi extérieure de la falaise, car en cet endroit la dune était assez solide pour être une vraie falaise, toute droite et tout à fait inaccessible. Celui qui avait demeuré là avant lui avait donc eu aussi des raisons de se bien cacher, puisqu’il s’était fait un guettoir dans un lieu si escarpé et si sauvage.

Alors Clopinet voulut voir l’autre bout de cette ravine tournante où il se trouvait comme enfermé, et, revenant sur ses pas, il y alla ; mais il fut vite arrêté par une fente profonde et une muraille naturelle toute droite. Enfin il chercha au clair de la lune, qui n’était pas bien brillant, à reconnaître l’endroit par où il avait pénétré dans cette cachette. Il s’engagea en tâtonnant dans plusieurs fentes fermées par des éboulements si dangereux qu’il n’osa plus essayer, et se promit de vérifier cela au jour. La lune se voilait de plus en plus, mais le peu de ciel qu’il voyait au-dessus de sa tête était encore clair ; il en profita pour rentrer dans sa grotte, car son jardin sauvage n’était pas uni et facile à parcourir. Il n’avait pas sommeil, il s’ennuya de ne rien voir et devint triste ; il espéra que les petits esprits viendraient lui tenir compagnie : il n’entendit que le mugissement de l’orage qui montait et couvrait celui de la mer.