Lorsque je regagnai ma chambre, au point du jour, j’étais aussi heureux que fatigué.

Le lendemain, j’osai à peine descendre à l’heure du déjeuner, tant l’expédition de la veille avait bien arrangé mes habits. J’eus beau gratter les gouttes de suif avec mon canif et brosser, ils n’avaient plus l’air neufs, tant s’en faut. La veuve se douta bien de quelque chose ; mais elle ne me gronda pas. Au contraire, elle empêcha sa sœur de me gronder en lui disant doucement : « Laisse-le tranquille, nous finirons par l’apprivoiser. » J’avais presque envie de lui tout raconter.

Pendant six semaines, la bande fut convoquée de loin en loin. Elle ne se trouvait presque jamais au grand complet, bien que Tom eût menacé de brûler la cervelle à quiconque s’absenterait deux fois de suite. Beaucoup de ses hommes n’étaient libres que le dimanche, et pour rien au monde ils n’auraient consenti à être des voleurs ce jour-là. Au fond ce n’était pas très amusant. Nous n’avions arrêté personne. Nous nous contentions de sortir à l’improviste du bois pour effrayer les gens qui apportaient des légumes ou conduisaient des porcs au marché. Tom appelait les cochons des lingots et les carottes des rubis. Je ne vois pas ce que nous y gagnions, excepté un coup de fouet de temps à autre. Ensuite nous courions nous cacher dans notre caverne, où le capitaine se vantait d’avoir remporté une nouvelle victoire. Un matin, il nous fit avertir par le second lieutenant, Joe Harper, qu’il venait d’apprendre par ses espions qu’une caravane de riches marchands espagnols et arabes devait passer le lendemain à peu de distance de la grotte avec deux cents éléphants, cinq cents mules et six cents chameaux chargés de diamants. L’escorte ne se composait que d’une centaine de soldats. Il s’agissait de nous mettre en embuscade pour tomber au bon moment sur la caravane, disperser l’escorte et emporter les diamants dans notre repaire. Il fallait donc fourbir nos armes et nous trouver au lieu du rendez-vous dès huit heures du matin. Le capitaine nous ordonnait sans cesse de tenir nos armes en bon état, parce que dans ses livres les bandits passaient la moitié de leur temps à fourbir leurs arquebuses. Il savait pourtant très bien que nous ne possédions que des sabres fabriqués avec des lattes et des fusils représentés par des manches à balai.

Je ne croyais pas du tout que nous pourrions effrayer un si grand tas d’Espagnols et d’Arabes ; mais je tenais trop à voir les éléphants et les dromadaires pour laisser échapper l’occasion. Les autres éprouvèrent sans doute la même curiosité, car Tom n’eut pas à se plaindre de leur manque d’exactitude.

Cachés derrière les arbres, nous attendîmes le signal convenu, et lorsque le capitaine cria : En avant ! nous nous lançâmes le long de la colline. Je n’aperçus ni Espagnols, ni Arabes, ni chameaux, ni éléphants ; mais une classe de l’école du dimanche que l’on menait en pique-nique dans le bois – et une classe de petites filles encore ! Elles eurent joliment peur et se sauvèrent à la débandade. Notre butin ne fut pas lourd : quelques biscuits, un pot de confitures, un livre de cantiques et une poupée. La vieille sous-maîtresse nous fit tout lâcher ; elle tomba sur nous à coups de parapluie et nous n’en fûmes pas quittes à trop bon marché.

– Avec tout ça, dis-je à Tom, je n’ai pas vu un seul diamant.

– Il y en avait des masses, répliqua-t-il, et des Arabes et des dromadaires aussi.

– Pourquoi ne les avons-nous pas vus alors ?

– Si tu avais lu les Aventures de Don Quichotte, tu saurais pourquoi. C’est la faute des enchanteurs. Les soldats, les mules et le reste étaient là ; mais les magiciens ont transformé la caravane en école du dimanche, par pure méchanceté.

– Il fallait nous en prendre à eux, au lieu d’effrayer les filles.

– Allons donc ! me répondit Tom. Ils auraient appelé à leur aide des génies qui nous écrabouilleraient rien qu’en levant le doigt. Si nous avions pu faire venir d’autres génies pour rosser les premiers, je ne dis pas.

– Comment les magiciens les font-ils venir ? demandai-je.

– Dans les Mille et une Nuits, quand vous avez besoin d’un génie, vous frottez une vieille lampe d’étain ou une bague de fer. Alors le génie arrive au milieu d’un nuage de fumée, et se met à vos ordres. Si vous lui commandez de bâtir avec des diamants un palais de quarante milles de long, de le remplir de bonnes choses et d’y amener la fille de l’empereur de Chine, parce que vous voulez vous marier avec elle, il faut qu’il le fasse avant le coucher du soleil. Bien plus, il est obligé de transporter le palais d’un bout du pays à l’autre, si vous lui en donnez l’ordre.

– Eh bien, je le trouve bête de ne pas garder le palais pour lui. Je ne serais pas assez sot pour planter là ma besogne et courir après un individu, tout bonnement parce qu’il a frotté une vieille lampe ou un anneau de fer.

– Tu serais obligé de venir dès qu’il aurait assez frotté ; c’est dans le livre.

– Allons, ne te fâche pas.