pardon! voilà que j'ai oublié votre nom!
— Peu importe, fit Julius, un peu contraint, en serrant la main gantée que Bertha lui tendait.
— Présente-moi aussi, dit Carola...
— Écoute, ma petite: voilà une heure qu'on nous attend, reprit l'autre, après avoir présenté son amie. Si tu veux causer avec Monsieur, emmène-le: j'ai une voiture.
— Mais ce n'est pas moi qu'il venait voir.
— Alors viens! Vous dînerez ce soir avec nous?...
— Je regrette beaucoup.
— Excusez-moi, Monsieur, dit Carola rougissante, et pressée à présent d'emmener son amie. Lafcadio va rentrer d'un moment à l'autre.
Les deux femmes en sortant avaient laissé la porte ouverte; sans tapis, le couloir était sonore; le coude qu'il faisait empêchait qu'on ne vît venir; mais on entendait approcher.
— Après tout, mieux que la femme encore, la chambre me renseignera, j'espère, se dit Julius. Tranquillement il commença d'examiner.
Presque rien dan cette banale chambre meublée ne se prêtait hélas! à sa curiosité mal experte: Pas de bibliothèque, pas de cadres aux murs. Sur la cheminée, la Moll Flanders de Daniel Defoe, en anglais, dans une vile édition coupée seulement aux deux tiers, et les Novelle d'Anton-Francesco Grazzini, dit le Lasca, en italien. Ces deux livres intriguèrent Julius. À côté d'eux, derrière un flacon d'alcool de menthe, une photographie ne l'inquiéta pas moins: sur une plage de sable, une femme, non plus très jeune, mais étrangement belle, penchée au bras d'un homme de type anglais très accusé, élégant et svelte, en costume de sport; à leurs pieds, assis sur une dérissoire renversée, un robuste enfant d'une quinzaine d'années, aux épais cheveux clairs en désordre, l'air effronté, rieur, et complètement nu.
Julius prit la photographie et l'approcha du jour pour lire, au coin de droite, quelques mots pâlis: Duino; juillet 1886, — qui ne lui apprirent pas grand-chose, bien qu'il se souvînt que Duino est une petite bourgade sur le littoral autrichien de l'Adriatique. Hochant la tête de haut en bas et les lèvres pincées, il reposa la photographie. Dans l'âtre froid de la cheminée se réfugiaient une boîte de farine d'avoine, un sac de lentilles et un sac de riz; dressé contre le mur, un peu plus loin, un échiquier. Rien ne laissait entrevoir à Julius le genre d'études ou d'occupation auxquelles ce jeune homme employait ses journées.
Lafcadio venait apparemment de déjeuner; sur une table, dans une petite casserole, au-dessus d'un réchaud à essence, trempait encore ce petit oeuf creux, en métal perforé, dont se servent pour préparer leur thé les touristes soucieux du moindre bagage; et des miettes autour d'une tasse salie. Julius s'approcha de la table; la table avait un tiroir et le tiroir avait sa clef...
Je ne voudrais pas qu'on se méprît sur le caractère de Julius, à ce qui va suivre: Julius n'était rien moins qu'indiscret; il respectait, de la vie de chacun, ce revêtement qu'il plaît à chacun de lui donner; il tenait en grand respect les décences. Mais, devant l'ordre de son père, il devait plier son humeur. Il attendit encore un instant, prêtant l'oreille, puis, n'entendant rien venir — contre son gré, contre ses principes, mais avec le sentiment délicat du devoir, — il amena le tiroir de la table dont la clef n'était pas tournée.
Un carnet relié en cuir de Russie se trouvait là; que prit Julius et qu'il ouvrit. Il lut sur la première page ces mots, de la même écriture que ceux de la photographie:
À Cadio, pour qu'il inscrive ses comptes,
À mon loyal compagnon, son vieux oncle.
Faby
et presque sans intervalle, au-dessous, d'une écriture un peu enfantine, sage, droite et régulière:
Duino. Ce matin, 10 juillet 86, lord Fabian est venu nous rejoindre ici. Il m'apporte une périssoire, une carabine et ce beau carnet.
Rien d'autre sur cette première page.
Sur la troisième page, à la date du 29 août, on lisait:
Rendu 4 brasses à Faby. — Et le lendemain:
Rendu 12 brasses...
Julius comprit qu'il n'y avait là qu'un carnet d'entraînement.
1 comment