Il y venait un air humide d’une cour intérieure qui ressemblait à un vaste soupirail, le jour y était gris, et sur l’appui de la fenêtre se trouvait un petit jardin plein de plantes malsaines. Dans cette pièce enduite d’une substance grasse et fuligineuse, les chaises, la table, tout avait l’air misérable. Le carreau suintait comme un alcarazas. Enfin le moindre accessoire y était en harmonie avec l’affreuse vieille au nez crochu, à la face pâle et vêtue de haillons décents qui dit aux consultants de s’asseoir en leur apprenant qu’on n’entrait que un à un chez MADAME.

Gazonal, qui faisait l’intrépide, entra bravement et se trouva devant l’une de ces femmes oubliées par la mort, qui, sans doute, les oublie à dessein pour laisser quelques exemplaires d’elle-même parmi les vivants. C’était une face desséchée où brillaient deux yeux gris d’une immobilité fatigante ; un nez rentré, barbouillé de tabac ; des osselets très-bien montés par des muscles assez ressemblants, et qui, sous prétexte d’être des mains, battaient nonchalamment des cartes, comme une machine dont le mouvement va s’arrêter. Le corps, une espèce de manche à balai, décemment couvert d’une robe, jouissait des avantages de la nature morte, il ne remuait point. Sur le front s’élevait une coiffe en velours noir. Madame Fontaine, c’était une vraie femme, avait une poule noire à sa droite, et un gros crapaud appelé Astaroth à sa gauche que Gazonal ne vit pas tout d’abord.

Le crapaud, d’une dimension surprenante, effrayait encore moins par lui-même que par deux topazes, grandes comme des pièces de cinquante centimes et qui jetaient deux lueurs de lampe. Il est impossible de soutenir ce regard. Comme disait feu Lassailly qui, couché dans la campagne, voulut avoir le dernier avec un crapaud par lequel il fut fasciné, le crapaud est un être inexpliqué. Peut-être la création animale, y compris l’homme, s’y résume-t-il ; car, disait Lassailly, le crapaud vit indéfiniment ; et, comme on sait, c’est celui de tous les animaux créés dont le mariage dure le plus long-temps.

La poule noire avait sa cage à deux pieds de la table couverte d’un tapis vert, et y venait par une planche qui faisait comme un pont levis entre la cage et la table.

Quand cette femme, la moins réelle des créatures qui meublaient ce taudis hoffmanique, dit à Gazonal : — Coupez !... l’honnête fabricant sentit un frisson involontaire. Ce qui rend ces créatures si formidables, c’est l’importance de ce que nous voulons savoir. On vient leur acheter de l’espérance, et elles le savent bien.

L’antre de la sibylle était beaucoup plus sombre que l’antichambre, on n’y distinguait pas la couleur du papier. Le plafond noirci par la fumée, loin de refléter le peu de lumière que donnait la croisée obstruée de végétations maigres et pâles, en absorbait une grande partie ; mais ce demi-jour éclairait en plein la table à laquelle la sorcière était assise. Cette table, le fauteuil de la vieille, et celui sur lequel siégeait Gazonal, composait tout le mobilier de cette petite pièce, coupée en deux par une soupente, où couchait sans doute madame Fontaine. Gazonal entendit par une petite porte entrebâillée le murmure particulier à un pot au feu qui bout. Ce bruit de cuisine, accompagné d’une odeur composite où dominait celle d’un évier, mêlait incongrûment l’idée des nécessités de la vie réelle aux idées d’un pouvoir surnaturel. C’était le dégoût dans la curiosité. Gazonal aperçut une marche en bois blanc, la dernière sans doute de l’escalier intérieur qui menait à la soupente. Il embrassa tous ces détails par un seul coup d’œil, et il eut des nausées. C’était bien autrement effrayant que les récits des romanciers et les scènes des drames allemands, c’était d’une vérité suffocante. L’air dégageait une pesanteur vertigineuse, l’obscurité finissait par agacer les nerfs. Quand le méridional, stimulé par une espèce de fatuité, regarda le crapaud, il éprouva comme une chaleur d’émétique au creux de l’estomac en ressentant une terreur assez semblable à celle du criminel devant le gendarme. Il essaya de se réconforter en examinant madame Fontaine, mais il rencontra deux yeux presque blancs, dont les prunelles immobiles et glacées lui furent insupportables. Le silence devint alors effrayant.

— Que voulez-vous, monsieur, dit madame Fontaine à Gazonal, le jeu de cinq francs, le jeu de dix francs, ou le grand jeu ?

— Le jeu de cinque francs est déjà bienne assez cherre, répondit le Méridional qui faisait en lui-même des efforts inouïs pour ne pas se laisser impressionner par le milieu dans lequel il se trouvait.

Au moment où Gazonal essayait de se recueillir, une voix infernale le fit sauter sur son fauteuil : la poule noire caquetait.

— Va-t’en, ma fille, va-t’en, monsieur ne veut dépenser que cinq francs. Et la poule parut avoir compris sa maîtresse, car, après être venue à un pas des cartes, elle alla se remettre gravement à sa place. — Quelle fleur aimez-vous ? demanda la vieille d’une voix enrouée par les humeurs qui montaient et descendaient incessamment dans ses bronches.

— La rose.

— Quelle couleur affectionnez-vous ?

— Le bleu.

— Quel animal préférez-vous ?

— Le cheval. Pourquoi ces questions ? demanda-t-il à son tour.

— L’homme tient à toutes les formes par ses états antérieurs, dit-elle sentencieusement ; de là viennent ses instincts, et ses instincts dominent sa destinée. — Que mangez-vous avec le plus de plaisir ? le poisson, le gibier, les céréales, la viande de boucherie, les douceurs, les légumes ou les fruits ?

— Le gibier.

— En quel mois êtes-vous né ?

— Septembre.

— Avancez votre main ?

Madame Fontaine regarda fort attentivement les lignes de la main qui lui était présentée.