C’est dur, c’est très-dur...
— Et que prends-tu d’escompte ?... dit Bixiou.
— Presque rien, reprit Vauvinet. Cela te coûtera, à trois mois, cinquante malheureux francs...
— Comme disait jadis Émile Blondet, tu seras mon bienfaiteur, répondit Bixiou.
— Vingt pour cent, intérêt en dedans !... dit Gazonal à l’oreille de Bixiou qui lui répliqua par un grand coup de coude dans l’œsophage.
— Tiens, dit Vauvinet en ouvrant le tiroir de son bureau, j’aperçois là, mon bon, un vieux billet de cinq cents qui s’est collé contre la bande, et je ne me savais pas si riche, car je te cherchais un effet à recevoir, fin prochain, de quatre cent cinquante, Cérizet te le prendra sans grande diminution, et voilà ta somme faite. Mais pas de farces, Bixiou ?... Hein ! ce soir, j’irai chez Carabine... tu me jures...
— Est-ce que nous ne sommes pas réamis ? dit Bixiou qui prit le billet de cinq cents francs et l’effet de quatre cent cinquante francs, je te donne ma parole d’honneur que tu verras ce soir du Tillet et bien des gens qui veulent faire leur chemin... de fer, chez Carabine.
Vauvinet reconduisit les trois amis jusque sur le palier en cajolant Bixiou. Bixiou resta sérieux jusque sur la pas de la porte, il écoutait Gazonal qui tentait de l’éclairer sur cette opération et qui lui prouvait que si le compère de Vauvinet, ce Cérizet, lui prenait vingt francs d’escompte sur le billet de quatre cent cinquante francs, c’était de l’argent à quarante pour cent... Sur l’asphalte, Bixiou glaça Gazonal par le rire du mystificateur parisien, ce rire muet et froid, une sorte de bise labiale.
— L’adjudication du Chemin sera positivement ajournée à la Chambre, dit-il, nous le savons d’hier par cette marcheuse à qui nous avons souri... Et si je gagne ce soir cinq à six mille francs au lansquenet, qu’est-ce que soixante-dix francs de perte pour avoir de quoi miser...
— Le lansquenet est encore une des mille facettes de Paris comme il est, reprit Léon. Aussi, cousin, comptons-nous te présenter chez une duchesse de la rue Saint-Georges, où tu verras l’aristocratie des lorettes et où tu peux gagner ton procès. Or, il est impossible de t’y montrer avec tes cheveux pyrénéens, tu as l’air d’un hérisson, nous allons te mener ici près, place de la Bourse, chez Marius, un autre de nos acteurs...
— Quel est ce nouvel acteur ?
— Voilà l’anecdote, répondit Bixiou. En 1800, un Toulousain nommé Cabot, jeune perruquier dévoré d’ambition, vint à Paris, et y leva boutique (je me sers de votre argot). Cet homme de génie (il jouit de vingt-quatre mille francs de rentes à Libourne où il s’est retiré) comprit que ce nom vulgaire et ignoble n’atteindrait jamais à la célébrité. M. de Parny, qu’il coiffait, lui donna le nom de Marius, infiniment supérieur aux prénoms d’Armand et d’Hippolyte, sous lesquels se cachent des noms patronymiques attaqués du mal-Cabot. Tous les successeurs de Cabot se sont appelés Marius. Le Marius actuel est Marius V, il se nomme Mougin. Il en est ainsi dans beaucoup de commerces, pour l’eau de Botot, pour l’encre de la Petite-Vertu. A Paris, un nom devient une propriété commerciale, et finit par constituer une sorte de noblesse d’enseigne. Marius, qui d’ailleurs a des élèves, a créé, dit-il, la première école de coiffure du monde.
— J’ai déjà vu, en traversant la France, dit Gazonal, beaucoup d’enseignes où se lisent ces mots : UN TEL, élève de Marius.
— Ces élèves doivent se laver les mains après chaque frisure faite, répondit Bixiou ; mais Marius ne les admet pas indifféremment, ils doivent avoir la main jolie et ne pas être laids. Les plus remarquables, comme élocution, comme tournure, vont coiffer en ville, ils reviennent très-fatigués. Marius ne se déplace que pour les femmes titrées, il a cabriolet et groom.
— Mais ce n’est après tout qu’un merlan ! s’écria Gazonal indigné.
— Merlan ! reprit Bixiou, songez qu’il est capitaine dans la garde nationale et qu’il est décoré pour avoir sauté le premier dans une barricade en 1832.
— Prends garde, ce n’est ni un coiffeur, ni un perruquier, c’est un directeur de salons de coiffure, dit Léon en montant un escalier à balustres en cristal, à rampes d’acajou, et dont les marches étaient couvertes d’un tapis somptueux.
— Ah ! ça, n’allez pas nous compromettre, dit Bixiou à Gazonal. Dans l’antichambre vous allez trouver des laquais qui vous ôteront votre habit, votre chapeau pour les brosser, et qui vous accompagnent jusqu’à la porte d’un des salons de coiffure, pour l’ouvrir et la refermer. Il est utile de vous dire cela, mon ami Gazonal, ajouta finement Bixiou, car vous pourriez crier : Au voleur !
— Ces salons, dit Léon, sont trois boudoirs où le directeur a réuni toutes les inventions du luxe moderne. Aux fenêtres, des lambrequins ; partout des jardinières, des divans moelleux où l’on peut attendre son tour en lisant les journaux, quand toutes les toilettes sont occupées. En entrant tu pourrais tâter ton gousset et croire qu’on va te demander cinq francs ; mais il n’est extrait de toute espèce de poche que dix sous pour une frisure, et vingt sous pour une coiffure avec taille de cheveux. D’élégantes toilettes se mêlent aux jardinières, et il en jaillit de l’eau par des robinets. Partout des glaces énormes reproduisent les figures.
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