Bien qu’il eût la cinquantaine, il était encore frais et joli. Il était bon, frivole, bel esprit, beau diseur, facile, enjoué, et, en fait d’opinions philosophiques, de l’avis de tous ceux à qui il parlait, car la question pour lui n’était pas de persuader, mais de plaire. Il me sauta au cou et me combla d’éloges dont je fis bon marché quant à lui, sachant qu’il en était prodigue avec tout le monde, mais dont je lui sus plus de gré qu’à l’ordinaire, à cause du plaisir que madame d’Ionis parut prendre à les écouter. Il vanta mes grands talents comme avocat et comme poète, et me força de réciter quelques vers qui parurent goûtés plus qu’ils ne valaient. Madame d’Ionis, après m’avoir complimenté d’un air ému et sincère, nous laissa ensemble pour vaquer aux soins de sa maison.
L’abbé me parla de mille choses qui ne m’intéressaient pas. J’aurais voulu être seul pour rêver, pour me retracer chaque mot, chaque geste de madame d’Ionis. L’abbé s’attacha à moi, me suivit partout et me fit mille contes ingénieux que je donnai au diable. Enfin la conversation prit un vif intérêt pour moi, quand il voulut bien la replacer sur le terrain brûlant de mes rapports avec madame d’Ionis.
– Je sais ce qui vous amène ici, me dit-il. Elle m’en avait parlé d’avance. Sans savoir le jour de votre visite, elle vous attendait. Votre père ne veut pas qu’elle se ruine, et il a parbleu bien raison ! Mais il ne la convaincra pas, et il faudra vous brouiller avec elle ou la laisser faire à sa tête. Si elle croyait aux dames vertes, à la bonne heure ! Vous pourriez les faire parler à son intention ; mais elle n’y croit pas plus que vous et moi !
– Madame d’Ionis prétend cependant que vous y croyez un peu, monsieur l’abbé !
– Moi ? elle vous l’a dit ? Oui, oui, je sais qu’elle traite son petit ami de grand poltron ! Eh bien, chantez le duo avec elle ; je n’ai pas peur des dames vertes, je n’y crois pas ; mais je suis sûr d’une chose qui me fait peur, c’est de les avoir vues.
– Comment donc arrangez-vous ces choses contradictoires.
– C’est bien simple. Il y a des revenants ou il n’y en a pas. Moi, j’en ai vu, je suis payé pour savoir qu’il y en a. Seulement, je ne les crois pas malfaisants, et je n’ai pas peur qu’ils me battent. Je ne suis pas né poltron ; mais je me méfie de ma cervelle, qui est un salpêtre. Je sais que les ombres n’ont pas de prise sur les corps, pas plus que les corps n’ont de prise sur les ombres, puisque j’ai saisi la manche d’une de ces demoiselles sans lui trouver aucune espèce de bras. Depuis ce moment, que je n’oublierai jamais, et qui a changé toutes mes idées sur les choses de ce monde et de l’autre, je me suis bien juré de ne plus braver la faiblesse humaine. Je ne me soucie pas du tout de devenir fou. Tant pis pour moi si je n’ai pas la force morale de contempler froidement et philosophiquement ce qui dépasse mon entendement ; mais pourquoi m’en ferais-je accroire ? J’ai commencé par me moquer, j’ai appelé et provoqué l’apparition en riant. L’apparition s’est produite. Bonjour ! j’en ai assez d’une fois, on ne m’y reprendra plus.
On peut croire que j’étais vivement frappé de ce que j’entendais. L’abbé y mettait une bonne foi évidente. Il ne se croyait pas poursuivi par une manie. Depuis l’émotion qu’il avait éprouvée dans la chambre aux dames, il n’avait jamais rêvé d’elles, il ne les avait jamais revues. Il ajoutait qu’il était bien certain que les ombres ne lui eussent été hostiles et nuisibles en aucune façon, s’il avait eu le courage nécessaire pour les examiner.
– Mais je ne l’ai pas eu, ajouta-t-il, car j’ai presque perdu connaissance, et, me voyant si sot, j’ai dit : « Approfondisse qui voudra le mystère, je ne m’en charge pas. Je ne suis pas l’homme de ces choses-là. »
J’interrogeai minutieusement l’abbé. À très peu de détails près, sa vision avait été semblable à la mienne. Je fis un grand effort sur moi-même pour ne pas lui laisser pressentir la similitude de nos aventures. Je le savais trop babillard pour m’en garder inviolablement le secret, et je redoutais les sarcasmes de madame d’Ionis plus que tous les démons de la nuit : aussi fis-je très bonne contenance devant toutes les questions de l’abbé, assurant que rien n’avait troublé mon sommeil ; et, quand vint le moment de rentrer, à onze heures du soir, dans cette fatale chambre, je promis fort gaiement à la douairière de garder bonne note de mes songes et pris congé de la compagnie d’un air vaillant et enjoué.
Je n’étais pourtant ni l’un ni l’autre.
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