Je n’en ai aucun d’invoquer la légalité rigide. Je refuse tout arrangement autre que celui que j’ai proposé aux d’Aillane, et je veux voir la fin de ce procès. Libre à vous, quand il sera gagné, de leur tendre une main secourable. Je ne m’opposerai pas à votre générosité ; mais je ne veux pas de compromis. Leur avocat m’a offensé dans son plaidoyer en première instance, et l’appel qu’ils ont interjeté est d’une présomption qui n’a pas de nom. Je trouve M. Nivières très endormi, et je lui en témoigne mon déplaisir par le courrier de ce jour. Agissez de votre côté, stimulez son zèle, à moins que quelque ordre supérieur ne vous vienne des... Vous savez ce que je veux dire, et je m’étonne que vous ne me parliez pas de ce qui a pu être observé dans la chambre aux... depuis mon départ. Personne n’a-t-il le courage d’y passer une nuit et d’écrire ce qu’il y aura entendu ? Faudra-t-il s’en tenir aux assertions de l’abbé de Lamyre, qui n’est pas un homme sérieux ? Obtenez d’une personne digne de foi qu’elle tente cette épreuve, à moins que vous n’ayez la vaillance de la tenter vous-même, ce dont je ne serais pas surpris ! »

En me lisant cette dernière phrase, madame d’Ionis partit d’un éclat de rire.

– Je trouve M. d’Ionis admirable ! dit-elle. Il me flatte pour m’amener à une épreuve à laquelle il n’a jamais voulu se prêter pour son compte, et il s’indigne de la poltronnerie des gens auxquels rien ne le déciderait à donner l’exemple

– Ce que je trouve de plus remarquable en tout ceci, lui dis-je, c’est la foi de M. d’Ionis à ces apparitions et son respect pour les arrêts qu’il les croit capables de rendre.

– Vous voyez bien, reprit-elle, que c’était là le seul moyen de faire fléchir sa rigueur envers les pauvres d’Aillane ! Je vous le disais, je vous le dis encore, et vous ne voulez pas vous y prêter, quand l’occasion est si belle ! On n’irait peut-être pas, tant l’on est pressé de croire aux dames vertes, jusqu’à vous demander votre parole d’honneur !

– Il me semble, au contraire, qu’il me faudrait jouer sérieusement ici le rôle d’imposteur, puisque M. d’Ionis demande l’assertion d’une personne digne de foi.

– Et puis vous craindriez le ridicule, le blâme, les lazzis qui ne manqueraient pas de s’attacher à vous ! Mais je pourrais vous répondre du silence absolu de M. d’Ionis sur ce point.

– Non, madame, non ! je ne craindrais ni le ridicule ni le blâme, du moment qu’il s’agirait de vous obéir. Mais vous me mépriseriez si je méritais ce blâme par un faux serment. Pourquoi donc, d’ailleurs, ne pas tenter d’amener les d’Aillane à une transaction honorable pour eux ?

– Vous savez bien que celle que M. d’Ionis propose ne l’est pas.

– Vous n’espérez pas modifier ses intentions ?

Elle secoua la tête et se tut. C’était me dire éloquemment quel homme sans cœur et sans principes était ce mari, indifférent à tant de charmes et livré à tous les désordres.

– Cependant, repris-je, il vous autorise à être généreuse après la victoire.

– Et à qui croit-il donc avoir affaire ? s’écria-t-elle en rougissant de colère. Il oublie que les d’Aillane sont l’honneur même et ne recevront jamais, à titre de grâce et de bienfait, ce que l’équité leur fait regarder comme la légitime propriété de leur famille.

Je fus frappé de l’énergie qu’elle mit dans cette réponse.

– Êtes-vous donc très liée avec les d’Aillane ? lui demandai-je. Je ne le pensais pas.

Elle rougit encore et répondit négativement.

– Je n’ai jamais eu de grandes relations avec eux, dit-elle, mais ils sont mes parents assez proches pour que leur honneur et le mien ne fassent qu’un. J’ai la certitude que la volonté de notre oncle était de leur léguer sa fortune. D’autant plus que M. d’Ionis, m’ayant épousée pour ce qu’on appelait mes beaux yeux, n’a pas eu bonne grâce ensuite vis-à-vis de moi à me chercher un héritage et à vouloir faire casser ce testament pour défaut de forme.

Puis elle ajouta :

– Est-ce que vous ne connaissez aucun d’Aillane ?

– J’ai vu le père assez souvent, les enfants jamais. Le fils est officier dans je ne sais quelle garnison...

– À Tours... dit-elle vivement.

Puis elle ajouta plus vivement encore :

– À ce que je crois, du moins !

– On dit qu’il est fort bien ?

– On le dit. Je ne le connais pas depuis qu’il a âge d’homme.

Cette réponse me rassura. Il m’était passé un instant par la tête que le motif du désintéressement magnanime de madame d’Ionis pouvait bien puiser sa plus grande force dans une passion pour son cousin d’Aillane.

– Sa sœur est charmante, dit-elle ; vous ne l’avez jamais vue ?

– Jamais. N’est-elle pas encore au couvent ?

– Oui, à Angers.